Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Du traité de 1936 au coup d’État de 1952

Cet accord anglo-égyptien confirme l’indépendance de l’Égypte, qui peut accéder en 1937 à la Société des Nations. Mais deux problèmes qui vont marquer pour longtemps la vie politique égyptienne restent posés : celui des troupes britanniques installées dans le pays et celui du Soudan.

Le traité de 1936 impose en outre à l’Égypte la mise de ses ressources à la disposition de la Grande-Bretagne en cas de guerre ainsi que la prépondérance de l’ambassadeur britannique accrédité au Caire. Pour conserver cette situation privilégiée dans la vallée du Nil, la Grande-Bretagne continue à jouer sur les rivalités qui opposent le Wafd au Palais.

Le nouveau roi, Farouk (en ar. Fārūq), qui succède à sa majorité, en 1937, à son père Fu’ād mort le 28 avril 1936, est élevé dans la haine du parti de Sa‘d Zarhlūl. Dès son avènement, il engage la lutte contre le Wafd pour lui enlever le pouvoir et créer un gouvernement à sa dévotion. Le jeune souverain commence tout d’abord par gagner l’affection de la population en se faisant une solide réputation de largesse (aide à l’Université, institution d’œuvres de bienfaisance) et surtout de piété. Parallèlement, il groupe autour de lui les partis minoritaires et travaille à l’élimination de ses adversaires de la scène politique. Le roi Farouk mise alors sur le mécontentement provoqué par la politique du Wafd auprès des milieux conservateurs. La politique laïcisante du gouvernement de Muṣṭafā al-Naḥḥās pacha lui aliène en effet la grande université d’al-Azhar, la puissante caste des Ulamā’ et l’association des Frères musulmans, qui ne cesse pas, depuis sa création en 1928 par Ḥasan al-Bannā’ (1906-1949), d’élargir son audience auprès de la population égyptienne. Au surplus, l’unité du Wafd est brisée lorsque certains de ses militants le quittent pour constituer le groupe sa‘diste (du nom de Sa‘d Zarhlūl). Farouk profite de cette situation pour révoquer le cabinet wafdiste et dissoudre le Parlement, le 30 décembre 1937. Des élections, le 1er avril 1938, consacrent la défaite du Wafd, dont le poids politique est désormais considérablement réduit. Le Wafd revient certes au pouvoir en mars 1942, mais avec l’appui de la Grande-Bretagne. Devant le refus du gouvernement égyptien de s’engager dans la guerre et les sympathies grandissantes d’une bonne fraction de la population envers les forces de l’Axe, l’Angleterre se retourne vers le Wafd, qui manifeste, dès l’ouverture des hostilités en Europe, ses préférences pour les démocraties.

L’ambassadeur britannique invite, au début de février 1942, le roi Farouk à confier le pouvoir au président de ce parti. Et, devant le refus du souverain égyptien, les troupes anglaises encerclent le Palais. Farouk s’incline et Naḥḥās pacha peut alors constituer un nouveau cabinet. Mais, imposé par les baïonnettes britanniques, le Wafd est discrédité aux yeux de l’opinion publique égyptienne. Il continue cependant d’exhorter la population à soutenir les démocraties tout en rejetant l’idée de l’entrée en guerre de l’Égypte. Cette dernière position ne réconcilie pas le Wafd avec beaucoup d’Égyptiens. Le parti reste donc très vulnérable, et ses adversaires ne manquent pas de profiter de cette situation pour le détrôner.

Dès son installation, le cabinet wafdiste entre en conflit avec le roi Farouk, qui supporte mal un ministère imposé au Palais par la force. De son côté, Naḥḥās pacha, fort de l’appui britannique, essaie de cantonner le roi dans un rôle purement honorifique et présente son parti comme l’unique garant de la Constitution, menacée par la Couronne. Mais, dans ce conflit qui oppose le Palais au vieux Wafd nationaliste, le roi a le beau rôle ; il apparaît comme le champion de l’indépendance face à un gouvernement imposé par les troupes d’occupation britanniques. Il groupe autour de lui les partis d’opposition qui défendent, pour les besoins de la cause, les droits de la nation égyptienne contre le Wafd appuyé par la Grande-Bretagne. La défection de certains militants du Wafd, qui créent en 1942 un groupe wafdiste indépendant, est venue renforcer l’opposition. Celle-ci se groupe en un « Front national » qui lance, le 1er mai 1944, un appel attirant l’attention de la population sur l’indépendance de l’Égypte, bafouée depuis 1942 avec la complicité de Naḥḥās pacha. Celui-ci est également tenu pour responsable, avec les Anglais, de la détérioration de la situation économique et sociale. On lui impute la cherté de la vie, la rareté des produits de première nécessité, comme le blé, destinés aux troupes britanniques.

Devenu très vulnérable, Naḥḥās pacha tente vainement de se concilier les étudiants d’al-Azhar et de se rapprocher du Palais. Mais le roi Farouk se refuse à tout compromis avec le président du Wafd et cesse même de le recevoir. Il est vrai que la Grande-Bretagne a déjà renoué avec le Palais, qui promet l’entrée en guerre de l’Égypte après l’élimination du cabinet wafdiste. Au demeurant, l’évolution du rapport de forces en faveur des démocraties écarte tout danger nazi dans la vallée du Nil. Le maintien du Wafd au pouvoir n’est plus désormais nécessaire aux yeux des Anglais. Aussi retirent-ils leur soutien à Naḥḥās pacha, dont le cabinet est révoqué le 8 octobre 1944.

Mais les gouvernements qui prennent la relève ne tardent pas à trahir les espoirs de la population. Loin d’être anti-impérialistes, ils s’avèrent au contraire inféodés à la Grande-Bretagne et ne parviennent pas à remédier à une situation économique et sociale de plus en plus explosive. Aussi l’Égypte traverse-t-elle une période de crises, de troubles sociaux et de luttes aiguës contre l’Angleterre et les gouvernements qui lui sont acquis. En février 1945, le Premier ministre Aḥmad Māhir pacha est assassiné pour avoir déclaré la guerre aux pays de l’Axe.

La même année, les travailleurs égyptiens mettent sur pied un « Mouvement démocratique de libération nationale » (M. D. L. N.), qui se propose de libérer le pays de l’impérialisme et de délivrer les masses de l’exploitation. En janvier 1946, le Wafd, qui se présente de nouveau comme le champion de l’indépendance, demande avec les Frères musulmans la révision du traité du 26 août 1936. Le 9 février suivant, les étudiants de l’université Fu’ād adressent un mémorandum au roi exigeant l’ouverture de négociations avec la Grande-Bretagne. Le même jour, ils organisent une manifestation au cours de laquelle nombre d’entre eux sont tués ou blessés. Quelques jours plus tard, ils constituent avec les ouvriers un « Comité national des ouvriers et des étudiants », qui organise, le 21 février 1946, une journée de l’évacuation et de l’unité de la vallée du Nil, au cours de laquelle quelques ressortissants anglais sont tués. Face à l’ampleur du mouvement, la Grande-Bretagne s’engage en octobre 1946 à évacuer Le Caire, Alexandrie et le Delta avant le 31 mars 1947, et à se retirer de la zone du canal avant le 1er septembre 1949.