Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Le colonialisme britannique en Égypte

Il est vrai que, pour ménager les grandes puissances et notamment la France, dont les intérêts restent très importants dans la vallée du Nil, la Grande-Bretagne laisse à l’Égypte une fiction d’indépendance. En réalité, le pouvoir appartient à lord Cromer (1841-1917), consul général britannique de 1883 à 1907. Celui-ci inaugure en Égypte une formule de colonisation très efficace, qui consiste à gouverner les gouvernants du pays. Secondé par les conseillers anglais des divers ministères, il parvient rapidement à consolider la position de son pays dans la vallée du Nil. C’est sous son instigation que le gouvernement égyptien met fin à l’intervention des autres puissances, et notamment de la France, dans l’administration des affaires du pays.

Cette politique détériore les rapports franco-britanniques. La France n’accepte pas de renoncer à ses droits dans la vallée du Nil. C’est seulement en 1904 que le gouvernement de la République française reconnaît la domination anglaise en Égypte. Il est vrai qu’en contrepartie la Grande-Bretagne laisse à la France toute liberté d’action au Maroc. L’Angleterre consolide alors sa situation sur les rives du Nil. Le 18 décembre 1914, elle met un terme à la fiction d’indépendance laissée à l’Égypte et établit son protectorat sur ce pays.


Le mouvement national égyptien

Cependant, les nationalistes égyptiens n’attendent pas 1914 pour comprendre que leur pays est depuis 1882 sous la domination britannique. Leur mouvement, affaibli par la défaite d’‘Urābī, trouve un souffle nouveau sous l’impulsion d’un jeune homme, Muṣṭafā Kāmil pacha (1874-1908). Celui-ci lance en 1899 un journal, al-Liwā’, avant de devenir, en 1907, le premier président du parti national (al-Ḥizb al-Waṭanī). Ce mouvement est d’abord le fait d’une élite d’origine bourgeoise imprégnée par les idées modernistes qui déferlent alors sur la vallée du Nil. Il préconise l’indépendance de l’Égypte, sa résurrection par l’adoption des méthodes occidentales, sans pour autant abdiquer les valeurs musulmanes considérées comme compatibles avec le monde moderne.

Pour atteindre leurs objectifs, les nationalistes égyptiens ne proposent pas des moyens révolutionnaires. Modérés, ils tablent sur une action purement politique pour libérer leur pays du joug britannique. Au demeurant, pénétrés de culture française, ils ont les yeux tournés vers la France, qui, depuis son refus d’intervenir en Égypte, jouit d’une profonde sympathie parmi l’élite du pays. Ils jouent sur les contradictions franco-britanniques et attendent du secours du gouvernement de la République française. Leurs espoirs sont déçus en 1904, lors de l’Entente cordiale, scellant la réconciliation de la France avec la Grande-Bretagne. Désormais, les nationalistes égyptiens doivent compter sur leurs propres moyens pour libérer leur pays. Du reste, l’aggravation de l’exploitation coloniale contribue à la prise de conscience des masses populaires, favorisant ainsi l’extension du mouvement national. La concentration de la propriété entre les mains d’un petit nombre d’Égyptiens et d’étrangers (en 1897, 12 000 propriétaires détiennent les deux cinquièmes du sol) et la spéculation à laquelle donne lieu la monoculture du coton, destiné à l’industrie britannique, amènent une véritable prolétarisation de la paysannerie égyptienne. Cette situation est de nature à créer un climat explosif.

Le mécontentement, qui se manifeste d’abord sous forme de brigandage et de criminalité, ne tarde pas à éclater au grand jour. Le 13 juin 1906, un incident survenu à Dinchiwāy révèle l’intensité du ressentiment des fellahs égyptiens contre l’occupant britannique. Des paysans attaquent des officiers anglais venus tirer les pigeons à la sortie de ce petit village du Delta et tuent l’un d’entre eux. La répression qui suit est violente et soulève l’indignation de la population égyptienne. Par son retentissement, cette affaire de Dinchiwāy contribuera au développement et à la radicalisation du mouvement national. Aussi, eu 1909, sir J. Eldon Gorst (1861-1911), qui succède en 1907 à lord Cromer, restreint-il de nouveau la liberté de la presse et ferme-t-il, pour un temps, la grande université islamique d’al-Azhar à la suite des manifestations antianglaises organisées par ses étudiants. Et, pour affaiblir le mouvement national, le consul anglais exploite les divisions traditionnelles du pays et monte la minorité chrétienne contre les musulmans. L’assassinat, en 1910, du président du Conseil copte Būṭrus Rhālī pacha par un jeune musulman nationaliste provoque une rupture entre les deux communautés. Mais les espoirs britanniques sont très vite déçus ; les chrétiens et les musulmans s’allient de nouveau contre l’occupant étranger, et sir Eldon Gorst, mort en 1911, laisse la place à un militaire, lord H. Herbert Kitchener (1850-1916).

C’est sous le proconsulat de ce dernier que le protectorat est officiellement proclamé en 1914 et que le khédive ‘Abbās Ḥilmī (1874-1944) est déposé au profit de son oncle Ḥusayn Kamīl, qui prend le titre de sultan. Pendant la Première Guerre mondiale, l’Égypte présente pour les Alliés un grand intérêt stratégique. Aussi, pour prévenir une quelconque complicité de la population avec l’Empire ottoman, la défense du territoire égyptien est-elle confiée aux seuls soldats anglais et la loi martiale est-elle proclamée.

Le mouvement nationaliste n’est pas pour autant étouffé. Il connaît même une certaine recrudescence à la faveur du mécontentement de la population, qui supporte mal les lourdes réquisitions imposées par l’occupant britannique. Forts de l’appui de la population et des principes wilsoniens qui reconnaissent aux peuples le droit à l’autodétermination, les nationalistes égyptiens réclament l’indépendance de leur pays. Ils se regroupent autour de Sa‘d Zarhlūl (1857-1927), un ancien ministre, qui constitue en 1919 une délégation, ou Wafd, mandatée par le peuple pour porter à Londres les revendications de l’Égypte. Cette mission se solde par un échec, Londres ayant refusé de recevoir le chef nationaliste, considéré comme extrémiste. Mais le Wafd devient très vite le noyau d’un parti nationaliste qui ne tarde pas à éclipser le parti national (al-Ḥizb al-Waṭanī). Sa‘d Zarhlūl se réclame alors des principes wilsoniens pour porter la question égyptienne devant la conférence de Versailles. Cette requête ne rencontre aucun appui auprès des puissances alliées, et Wilson lui-même considère que la tutelle anglaise sur l’Égypte est justifiée par l’intérêt de la civilisation.