Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

De plus, un « nouveau venu », Osiris, dieu d’origine agraire (dont le lieu saint principal sera à Abydos), divinité qui, par sa passion et sa résurrection, enseigne à tous les hommes les voies de la vie éternelle, commence à libérer les esprits de la contrainte collective, du magnétisme idéologique exercé par le grand dieu royal, qui, seul, jusque-là, accédait à la survie ; il faut lire les textes des pyramides et regarder les grandes nécropoles de Saqqarah et de Gizeh, où les mastabas, tombes des nobles et favoris, s’assemblent autour de la pyramide du souverain : image figée d’une société jusqu’alors vouée au service d’un être unique et tout-puissant.

Cette société policée, raffinée, qui s’était peu à peu développée dans le royaume (ce dont attestent les textes de la Sagesse de Ptahhotep), société fermée, n’ayant encore que peu de rapports avec le monde extérieur — sinon des liaisons maritimes anciennes avec Byblos et les ports phéniciens, des missions économiques au Sinaï, dans le pays de Pount (Somalie), en Nubie, quelques expéditions punitives, au-delà de la frontière du nord-est, contre les tribus pillardes —, cette société est menacée. Sous le trop long règne de Pepi II (90 ans), la décadence se précipite : le pouvoir monarchique est étouffé par une oligarchie d’origines diverses (palatine comme cléricale) ; des forces d’opposition, venues des classes les plus humbles, se forment et s’élèvent. En 2280 av. J.-C., la révolution éclate.


La première période intermédiaire

Elle dure deux siècles. Cette période obscure de bouleversements sociaux, de famine, d’infiltration étrangère au nord-est est le prélude, pour l’homme d’Égypte, à l’éveil de la conscience individuelle et à celui de la conscience nationale et politique.

Venant du Sud encore, de Thèbes (alors simple bourgade, mais appelée à un grand avenir), des princes, les Antef, vont refaire l’unité du royaume.


Le Moyen Empire

En 2052, le Moyen* Empire commence avec les Mentouhotep (XIe dynastie), puis les Amenemhat et les Sésostris (XIIe dynastie), qui fixent leur capitale à Licht (près, encore, de la pointe du Delta) et restaurent l’autorité monarchique. Mais l’esprit du royaume a changé. La monarchie a dû tirer la leçon des événements. Le roi n’est plus seulement l’immortel potentat divin, il a désormais des devoirs : s’appliquer à sauvegarder l’intégrité de l’Égypte à l’intérieur comme à l’extérieur, en chef d’État soucieux de la prospérité et de la sécurité de « son troupeau ».

Dans la gestion politique intérieure, de nouvelles formes de centralisation monarchique apparaissent. La société, vigilamment encadrée, se hiérarchise : le groupe dirigeant, qui réunit les délégués immédiats du roi à la tête des différentes « maisons » (ministères), est étroitement surveillé et judicieusement choisi ; les nomarques provinciaux redeviennent de simples fonctionnaires royaux ; il n’y a plus d’hérédité de fonctions. Une classe moyenne se constitue, composée surtout de scribes, d’artistes, d’ouvriers spécialisés. Elle établit l’équilibre avec celle des paysans, qui peuvent désormais accéder à la propriété. Si le clergé de Rê est toujours éminent, il est mieux tenu par le pouvoir temporel, et Amon (le dieu de Thèbes) commence, avec les princes de sa ville, son ascension prestigieuse. Amenemhat Ier (dont le nom signifie « Amon-est-en-tête ») lui confère l’autorité suprême sur les dieux des autres villes, en l’associant au dieu d’Héliopolis sous le nom d’Amon-Rê ; alliance idéologique, mais aussi manœuvre politique : désormais, les souverains pourront jouer de la rivalité des deux puissants clergés, l’héliopolitain et le thébain. Osiris, enfin, dont la popularité est immense, entraîne la démocratisation des rites funéraires : chacun peut, suivant l’exemple du dieu lui-même, espérer revivre, soit en son corps momifié placé dans un sarcophage de bois, soit — pour les plus humbles des serviteurs — à l’aide de ces petites statuettes de bois (oushebtiou) placées auprès du maître ; par la grâce magique des mots et des formules rituellement consacrées, toute chair saine, toute image de pierre ou de bois peut s’animer.

Mais les destins nouveaux de l’Égypte l’entraînent (pour sa sauvegarde même) au-delà de ses rassurantes frontières naturelles ; et c’est là un point important de son histoire : l’armée se développe ; à côté des recrues par conscription nationale, il existe des militaires de carrière, sans compter les mercenaires — archers nubiens, notamment. La première tâche consiste à mettre le Delta à l’abri des incursions de nomades d’Asie. À la frontière orientale, Amenemhat Ier entreprend la construction d’un réseau de forteresses (les « Murs du Prince »), et Sésostris III affermit son autorité sur les chefs du désert (arrière-pays syrien et palestinien) ainsi que sur les grands centres tels que Megiddo et Ougarit (Ras Shamra). La sécurité des voies maritimes est assurée par la « protection » des ports phéniciens : Byblos paie tribut au roi d’Égypte (trésor de Tôd, sous Amenemhat II). Au Sud, la pénétration en Nubie s’accentue (sous Sésostris Ier, elle atteint la 3e cataracte) ; on bâtit des forteresses ; c’est une véritable colonisation du Sud. Ce sont des desseins purement économiques qui, par la mer Rouge, continuent à mener les expéditions royales vers les mines de cuivre, d’or et de pierres précieuses du Sinaï, et vers le pays de Pount (arbres à encens, myrrhe, électrum).

Le Moyen Empire est aussi la période choisie pour le développement de la langue et la floraison des genres littéraires.

C’est une cause extérieure qui, vers 1770 av. J.-C., va entraîner de nouveau la chute des institutions, à savoir les mouvements de peuples aryens qui, depuis 1900, venant de la Caspienne et de la mer Noire, descendent vers le sud et créent une nouvelle carte politique de l’Orient. Mèdes et Perses s’installent en Iran, Hittites en Anatolie, Mitanniens dans les vallées supérieures du Tigre et de l’Euphrate, Kassites en Babylonie. Les Sémites refoulés tentent de s’établir plus au sud : la vague arrive jusqu’en Égypte, suivie de quelques bandes d’Aryens ; ces Hyksos (heka khasout, « princes des déserts », qui hantaient les sables, sur les territoires de la future Palestine et de la future Syrie, à l’exception de la bande côtière phénicienne) conquièrent d’abord le Delta, puis le pays tout entier, et fondent une capitale : Avaris.