Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Églises protestantes (suite)

Ces protestants de la première génération ont fortement conscience du paradoxe tragique sous le signe duquel vit toute Église particulière, dans le temps de l’unité brisée : on affirme comme réalité centrale de la foi l’unité essentielle du corps du Christ et, en même temps et pour des raisons fondamentales, on assume la division. Aussi soulignent-ils sans cesse que ce qui est le ciment véritable de l’unité, c’est la foi au Christ, le chef invisible de l’Église, et non la soumission à une quelconque autorité institutionnelle visible. Les liens véritables de l’unité sont invisibles, et l’on ne saurait confondre l’Église de Dieu avec quelque réalité visible ; dire « Je crois la sainte Église catholique », c’est admettre qu’on ne peut, dans le temps présent, la saisir empiriquement. En même temps, dire que l’Église est objet de foi, c’est accepter de vivre dans une communauté visible, lieu nécessaire où la réalité de l’Église véritable et une est constamment attendue et signifiée. Rien n’est plus étranger à ces premiers protestants que l’individualisme des siècles ultérieurs : si l’on ne peut encore être en communion avec le Christ à l’intérieur de l’unité visible, on ne saurait le rencontrer qu’en se mettant avec les frères à l’écoute de la Parole et en participant à la vie sacramentelle.

Mais, à côté de cette dimension fondamentalement œcuménique de la théologie et de la spiritualité protestantes originelles, il y a le refus de tout « ecclésiocentrisme » : la communauté chrétienne n’est là que pour le témoignage de l’Évangile et le service des hommes ; elle ne doit pas devenir le centre de la foi ; il faut que, dans la foi et la vie des chrétiens, comme dans l’Évangile, le Christ et le monde occupent le premier rang, l’institution n’étant que l’instrument modeste que le Seigneur vivant utilise pour poursuivre sa mission universelle.

Une génération plus tard, la Réforme calviniste s’instaure plus paisiblement, avec moins d’improvisation hâtive, mais, compte tenu des expériences luthériennes, en s’inspirant exactement des mêmes principes ecclésiologiques. Calvin*, en contact avec la Réforme allemande par Melanchthon* et Bucer*, est soit l’auteur, soit l’inspirateur direct des textes qui vont orienter la vie des Églises réformées jusqu’à aujourd’hui. Ainsi la Confession de foi française, dite « de La Rochelle » (26 mai 1559), traite-t-elle de l’Église.

Alors que les luthériens des origines pariaient sur la maturité des communautés chrétiennes et sur l’efficacité du « sacerdoce commun des baptisés », les réformés sont très préoccupés de structurer ce qui, autrement, risquerait de rester informe et inerte. Les articles de « discipline ecclésiastique » qui viennent donner le complément juridique aux textes doctrinaux de la confession de foi organisent les synodes, où chaque communauté sera représentée par une délégation composée des pasteurs et au moins d’un ancien (surveillant) et d’un diacre par Église locale. Ainsi sont jetées les bases du régime « presbytérien-synodal », aujourd’hui encore largement en vigueur dans les Églises réformées : l’autorité de base est la communauté locale, gouvernée et représentée par ses ministres, et l’autorité suprême est le synode « national » (ou général), constitué par délégation au premier ou au second degré de toutes les communautés locales. Dès le départ, ce système démocratique assez lourd, mais dont le fonctionnement va permettre aux communautés d’affronter l’épreuve de la persécution et de la dispersion, n’est considéré que comme un instrument tout entier au service de la mission de l’Église : il ne prétend, en aucun cas, traduire un schéma ecclésiologique révélé ou nécessairement permanent ; c’est pourquoi il est bien précisé que tant l’organisation générale que la définition des charges ministérielles peuvent varier suivant les nécessités des circonstances et des lieux. L’essentiel est que le ministère de la Parole, c’est-à-dire la communication de l’Évangile, soit, à tout moment, assuré le mieux possible.


Diffusion, diversification et implantation

Dès 1521, c’est comme une traînée de poudre : de Wittenberg, où Luther revient après son séjour clandestin à la Wartburg, des émissaires et des missionnaires partent dans toutes les directions. De 1523 à 1527, toute la Scandinavie, avec le Danemark et Riga, passe au luthéranisme. En 1524, c’est le tour de Strasbourg avec Bucer, puis, à partir de 1534, du Wurtemberg, de la Poméranie et du Mecklembourg. Les pays scandinaves et la majorité de l’Allemagne seront désormais luthériens. En Amérique du Nord, le luthéranisme, parfois très « confessionnaliste », est solidement implanté à partir du xviie s.

Du côté réformé, il y a eu dès 1518 l’activité originale et autonome de Zwingli* à Zurich (passage à la Réforme en 1521 avec ses prolongements à Bâle, Schaffhouse, Saint-Gall, Glaris, Appenzell). Ce mouvement, très proche à plus d’un titre du courant hussite qui avait profondément labouré la Bohême au xve s., ne tarde pas à entrer en conflit avec la Réforme luthérienne, en particulier sur la question sacramentelle, Luther s’opposant aux Suisses qui évacuent la présence réelle du Christ dans l’eucharistie (colloque de Marburg, 1529).

La mort de Zwingli sur le champ de bataille de Kappel (11 oct. 1531), où il défend, les armes à la main, la liberté spirituelle contre les troupes catholiques, décapite et désoriente la Réforme helvétique. C’est donc Calvin qui va en récupérer les fruits et en réorienter l’action : à la fois partisan d’une claire affirmation de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et moins substantialiste que Luther, il offre une position équilibrée susceptible d’unir les luthériens modérés et les plus évangéliques des héritiers de Zwingli. Luther lui-même, à la fin de sa vie, le reconnaîtra.

Cependant, le courant réformé se développera et s’implantera ailleurs que la Réforme luthérienne, tant il est vrai qu’au départ aucune idée de concurrence ne se fait jour : on a conscience d’appartenir à la même famille, celle pour qui l’Église se définit seulement par la droite annonce de la Parole de Dieu et la correcte administration des sacrements. De Genève, définitivement gagnée à la Réforme en 1541, Calvin évangélise toute l’Europe, et c’est sur ses conseils et sa direction précise que, dès 1547, l’Écosse, puis, autour de 1560, la France, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne voient s’implanter des communautés réformées regroupées autour de confessions de foi originales et structurées par de solides « disciplines ecclésiastiques ». Il faudra en France deux siècles de persécutions pour réduire à une petite minorité une Église réformée qui, selon l’historien catholique Pierre Imbart de La Tour, regroupait dans le dernier tiers du xvie s. six millions de fidèles, soit un tiers de la population française d’alors. Comme les luthériens, les réformés (ou presbytériens) essaimeront dans le monde entier.