Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Églises orientales (suite)

c) L’Église jacobite, officiellement appelée syrienne orthodoxe. Elle doit le surnom sous lequel elle est plus habituellement désignée à l’évêque Jacques Baradaï, qui fut son principal organisateur au temps de l’empereur Justinien. Consacré évêque en 543, Baradaï s’employa activement à créer une hiérarchie autonome. Cette Église dissidente se développa surtout dans les régions montagneuses du nord et du nord-est de la Syrie. Son principal centre se fixa, à partir du xe s., dans le massif du Ṭûr ‘abdîn (auj. en Turquie), peuplé de colonies monastiques. Considérablement affaiblie au cours des siècles, l’Église jacobite devait, à partir de 1653, recevoir l’appoint des chrétiens de tradition syrienne vivant dans l’Inde du Sud qui refusaient la juridiction d’évêques latins ; ayant progressivement adopté la liturgie et la discipline jacobites, ils forment une province sous la juridiction d’un délégué du patriarche, en faveur de qui a été rétablie la dignité de « maphrian » (fécondateur), attribuée jadis au délégué patriarcal jacobite pour les régions orientales (Empire perse sassanide).

Un courant favorable à l’union avec Rome, qui s’est manifesté parmi les jacobites d’Alep au milieu du xviie s., aboutit en 1783 à la constitution d’un patriarcat autonome dit syrien catholique, dont le siège, d’abord établi à Alep (1831), fut ensuite transféré à Mardin, pour revenir enfin au Liban. Un semblable mouvement unioniste se dessina au Kerala à partir de 1930 ; en 1932, le pape Pie XI constituait la province métropolitaine de Trivandrum pour ces catholiques de rite syrien, dits « syro-malankares ».

d) L’Église arménienne. Les fondations en furent consolidées au début du ive s. par l’apostolat de saint Grégoire l’Illuminateur, qui gagna à la foi chrétienne le roi Tiridate III. Après avoir subi l’hostilité du protectorat perse sur le pays (451), l’Église d’Arménie, soucieuse d’affirmer son autonomie à l’égard de l’Empire romain, prit position contre le concile de Chalcédoine en 491 (ou 506). L’invasion seldjoukide du xie s. entraîna le transfert du siège primatial (catholicosat) en Cilicie (1293) ; il en résulta plusieurs scissions. À l’heure actuelle, le siège suprême est établi en R. S. S. A., à Etchmiadzine (depuis 1441) ; le catholicos de Cilicie s’est transféré au Liban, à Antilyās (1922) ; deux sièges patriarcaux secondaires se sont constitués à Jérusalem (1311) et à Constantinople (1461).

En 1740, les Arméniens de Syrie favorables à l’union avec Rome élurent comme catholicos de Cilicie un évêque qui demanda au pape confirmation de son élection ; le siège de ce patriarcat arménien catholique est établi depuis 1750 au Liban, dans le couvent de Notre-Dame de Zmar (Bzūmmār).


Caractères généraux

Si diverses qu’elles soient par leur histoire et leurs traditions propres, toutes ces Églises orientales possèdent en commun quelques traits caractéristiques qui tiennent avant tout à leur fidélité à conserver l’héritage du Ier millénaire de l’ère chrétienne et à leur réticence à l’égard de l’évolution qui s’est accomplie dans le christianisme d’Europe occidentale depuis le xie s.

1o Fidélité à la tradition des Pères. Elle s’est concrétisée très tôt (dès le Ve s.) par la constitution de florilèges doctrinaux, ascétiques, bibliques (les chaînes) qui transmettront, sous forme condensée et fragmentaire, un enseignement dont on ne veut pas s’éloigner. Elle s’exprime surtout au travers des textes et des rites liturgiques, immense catéchèse poétique et figurative qui a joué dans toutes les Églises orientales un rôle bien plus grand et plus durable qu’en Occident. La « Grande Église » de Constantinople est devenue, au moins à partir de Justinien, le centre vers lequel sont venues converger les traditions liturgiques d’Antioche et de Jérusalem comme de Cappadoce. En retour, son influence se fera sentir jusque dans les Églises qui se sont séparées de sa communion : copte, jacobite, arménienne et même nestorienne. Le reproche adressé avec de plus en plus de véhémence à l’Église latine d’Occident est de porter atteinte dans sa liturgie et plus encore dans sa théologie et sa discipline à cette tradition des Pères.

2o L’idéal monastique. L’un des lieux privilégiés de cette fidélité à la tradition des Anciens est le monachisme, qui, dès le ve s., a pris et n’a cessé d’accroître une influence prédominante dans la vie de l’Église. L’idéal monastique affirme avec force que la vocation chrétienne est déjà hors des contingences et surtout des préoccupations de ce monde, et que l’Église anticipe — notamment par sa liturgie — ce « royaume des cieux » dont la résurrection du Christ a ouvert l’accès aux hommes.

Il est dominé par une mystique de la divinisation dont l’ascèse est la condition normale.

3o L’Église comme communion et comme famille, l’institution patriarcale et synodale. Le système de large autonomie régionale tel qu’il fut sanctionné par les conciles des ive-ve s. et juridiquement établi par le droit de Justinien au vie s. s’est avéré assez souple pour s’adapter à des situations et à des traditions très différentes, et fournir aux diverses Églises une base commune rendant même acceptable — du moins en principe et en fin de compte dans les faits — la constitution de nouvelles autocéphalies, c’est-à-dire d’Églises jouissant d’une entière autonomie dans leur organisation sans qu’il en résulte de rupture de communion avec des Églises antérieurement constituées. La communion dans la foi, jointe à la reconnaissance d’une diversité de ministères et d’« ordres » (taxis), laisse un large jeu aux expressions individuelles de la dévotion et des engagements humains. Ce caractère de communion s’institutionnalise — surtout dans l’orthodoxie de tradition byzantine — en un régime synodal qui, de droit, est prédominant. Par contre, les Églises copte et nestorienne ont toujours accentué l’aspect monachique de l’institution patriarcale, qui leur est commune avec l’orthodoxie et qui souligne l’enracinement de l’Église dans la tradition des grands sièges apostoliques.

Dans ces Églises, et plus encore peut-être dans l’Église jacobite, dans l’Église arménienne et surtout dans l’Église maronite, le principe synodal ou collégial s’est associé avec la conception monastique de l’abba, du père spirituel investi de l’autorité de Jésus-Christ, dont il est le vicaire.