Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

éducation physique (suite)

Les Romains ont dévié la perspective éducative des exercices physiques en les transformant en jeux de cirque. De ce fait, la civilisation chrétienne naissante condamne les activités corporelles, et ce n’est qu’à partir de la Renaissance, avec des pédagogues et philosophes tels que John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Johann Heimrich Pestalozzi, qu’on redécouvre la nécessité d’inclure des exercices corporels dans l’éducation des enfants, en aide, complément et préparation aux activités intellectuelles. Cette soumission du corps à l’esprit, dans une conception dualiste de la personne humaine, a condamné en fait l’éducation physique à rester une branche annexe de l’éducation générale, un dérivatif, une activité de détente et non une discipline formative.

Vers 1800 apparaissent dans différents pays européens les grands courants d’éducation physique liés aux besoins sociaux, économiques, politiques. L’alcoolisme règne en Suède et ravage le pays : Per Henrik Ling (1776-1839) crée, dans le but de lutter contre ce fléau, la « gymnastique analytique », qui deviendra la gymnastique de maintien. Friedrich Ludwig Jahn (1788-1852) en Allemagne crée le « Turnen », base de la gymnastique aux agrès, dans une perspective politique de lutte contre l’envahisseur Napoléon et d’unification de l’Allemagne : il cherche à donner une conscience pangermanique à ses gymnastes. En Angleterre, Thomas Arnold (1795-1842), directeur du collège de Rugby, modifie l’enseignement traditionnel ; il oriente les anciens jeux vers la pratique sportive en demandant au sport le développement corporel de l’individu, l’accès à la moralité. En France, la gymnastique est confiée à François Amoros (1769-1848). Ses idées, originales et intéressantes sur le plan technique, n’ont donné naissance qu’à une gymnastique spectaculaire et acrobatique. Ces différents courants s’interpénètrent au fil des années, s’enrichissant, de plus, d’un courant artistique rythmique allemand.

L’évolution des idées en France se fait à partir de l’École de Joinville, centre de l’éducation physique jusqu’en 1939, date à laquelle elle fermera ses portes à cause de la guerre. Cette école militaire s’occupe en fait de toutes les activités physiques, de la formation des cadres et de la recherche. Son travail aboutit entre 1925 et 1930 au règlement qui prit le nom de méthode française, utilisant toutes les connaissances et expériences sur l’éducation physique ; ainsi l’éducation physique regroupait des exercices analytiques (Georges Demény [1850-1917]), des exercices naturels (Georges Hébert [1875-1957]), des jeux et des sports (Pierre de Coubertin [1863-1937]). Chaque courant avait ses défenseurs acharnés, se livrant à une véritable guerre des méthodes. Pour les partisans du sport, celui-ci recèle par essence toutes les finalités éducatives. Les « suédistes » trouvent que la compétition est une violence à l’état de santé : ce qui n’est pas biologique et principalement anatomique dans l’homme n’est pas intéressant. Hébert, dans le Sport contre l’éducation physique (1925), soutient qu’il faut exclusivement conformer ses mouvements à ceux des primitifs. Face à cet état de choses, les instructions officielles de 1945 donnèrent la liberté à l’éducateur de choisir, au mieux de l’intérêt des élèves, un peu de chaque méthode, selon les différents moments de l’année, et même de la leçon. Les fins étaient dénaturées, les méthodes ne devinrent plus qu’un ensemble de procédés.

Vers 1950, sous l’influence de la Fédération française de gymnastique éducative, un premier essai de synthèse fut élaboré. On distingua une éducation physique de formation, à base d’exercices construits, d’une éducation physique d’application fonctionnelle, à caractère sportif ou utilitaire. Actuellement, il serait nécessaire de partir d’une conception uniciste de l’homme pour définir une synthèse de l’éducation physique. Or, une telle conception est loin d’être universellement admise ; au sein d’un dualisme qui établit des rapports hiérarchiques entre l’esprit et le corps, l’éducation physique ne peut être envisagée que sous un angle de dressage. Pour mériter d’être appelée une éducation, l’éducation physique doit satisfaire aux exigences de la notion d’éducation et être conçue comme fonction des phénomènes de civilisation, de même qu’elle devient elle-même phénomène de civilisation capable d’agir sur les autres. L’éducation physique doit donc être définie à partir des cultures, des époques et du concept de fonctionnalité, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec la conduite de l’être dans sa totalité. L’acte moteur n’est pas isolé, il se situe dans le cadre général d’une conduite qui peut être utilitaire, ludique, esthétique.

Jean Le Boulch propose cette définition : « Faire du corps un fidèle instrument d’adaptation au milieu biologique et social par le développement de ses qualités biologiques, motrices et psychomotrices, permettant d’atteindre à la maîtrise corporelle, élément de la maîtrise du comportement, condition de la liberté. Cette éducation corporelle est soumise à deux impératifs : moral, esthétique... »

Jacques Ulmann, quant à lui, définit l’éducation physique comme « l’ensemble des moyens qu’emploie une culture pour assurer, par la conservation et le renforcement de la nature physique d’un être, son action sur la nature de cet être ».

Avec ces points de vue, nous dépassons les principes doctrinaux représentant les différentes méthodes. L’éducation physique se tourne vers les problèmes physiologiques, dans le sens où la santé doit être préservée pour permettre à l’individu de se dépasser ; psychologiques, dans le sens où la conduite motrice exprime la personnalité (psychomotricité) ; sociologiques, dans le sens où l’individu est inséparable de son environnement.

L’éducation physique, s’appuyant sur des normes fluctuantes, est évolutive. Se proposant d’agir sur la personnalité de l’individu à partir de situations qui engagent l’être psycho-sociomoteur, elle est interdisciplinaire et nécessite un apport des sciences humaines et un apport des sciences exactes.

Dans cette perspective, les différentes activités physiques sont des moyens de résoudre des problèmes de la personnalité : la question est alors celle du choix des situations les plus efficaces pour atteindre les buts que s’assigne l’éducation.