Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

éducation (suite)

Dans les sociétés industrielles, peut-être plus encore que dans les autres, l’éducation joue fortement un rôle d’intégration à la vie sociale. Déjà Durkheim soulignait que cette fonction revêt une très grande importance dans les sociétés menacées (à la suite d’industrialisation) par une tendance à l’autonomisation de l’économie et par l’anomie des individus. D’après Durkheim, l’école est seule capable de faire contrepoids à la tendance de l’économie à s’ériger en principe de toute régulation des conduites. Cette fonction d’intégration inclut aussi bien l’intégration morale que l’intégration intellectuelle. Autrement dit, il s’agit aussi bien de transmettre les valeurs dominantes de la société globale (les idéaux de l’Église, du parti ou d’une philosophie dominante) que de fournir un système des catégories de pensée, une conception du monde. Sans doute est-il nécessaire que l’école transmette des outils intellectuels communs, mais, en même temps, elle contribue au changement, car elle prépare l’homme de demain et la société future par la recherche et par la formation professionnelle. Il devient même de plus en plus évident que ce sont ces dernières fonctions qu’on met aujourd’hui au premier plan, bien que la situation ne soit pas la même dans tous les pays. Le système français (en tout cas le système traditionnel) privilégie nettement les processus de transmission culturelle, et par là même la fonction de conservation. L’attachement du système éducatif français à son rôle de gardien de la culture est très fort, au point d’empêcher toute transformation du système. Il est caractéristique que, pour ne pas le rendre tout à fait inadapté au monde d’aujourd’hui, on soit amené à créer, en dehors du système traditionnel, des établissements nouveaux dont la tâche principale est la préparation professionnelle. À l’opposé, le système socialiste d’éducation, c’est-à-dire celui qui est en vigueur dans l’Est européen, a dans une certaine mesure subordonné les fonctions au service de l’économie. La transformation des établissements d’enseignement général en écoles polytechniques, la suppression des programmes scolaires de tout ce qui est jugé inutile ou ne servant pas directement les objectifs fixés en sont autant de signes. En général, il est très difficile de distinguer clairement les diverses fonctions de l’éducation, car celles-ci sont rarement explicites ; néanmoins, cette étude est toujours nécessaire, qu’on envisage l’analyse d’un système éducatif ou sa critique. En effet, il arrive très souvent que les critiques de l’éducation se font d’un point de vue qui n’est pas celui qui est soutenu par le système en question. Si, par exemple, aux yeux des économistes, le système français paraît tout à fait inefficace, il ne le sera pas aux yeux de celui qui l’apprécie en référence aux valeurs qui président à son fonctionnement. Cela est d’autant plus important que l’éducation est devenue aujourd’hui un enjeu politique et qu’elle est placée au centre des préoccupations de différents groupes, chacun de ces groupes attribuant à l’éducation des finalités différentes et espérant d’elle des services divers : les économistes y voient un facteur puissant du développement économique ; les politiciens, un moyen efficace de rendre conformes aux normes et aux valeurs en vigueur les comportements des citoyens, etc. D’autre part, si on tient pour significatif le nombre des recherches qui s’effectuent chaque année dans le domaine de l’éducation (recherches sociologiques, psychologiques ou pédagogiques), on constate que celle-ci constitue également une préoccupation majeure des chercheurs d’aujourd’hui. En effet, ce type de recherche n’existait pas encore il y a quinze ans, ou plutôt il était rare, ce qui a permis au sociologue américain Neal Gross d’écrire en 1959 que la sociologie de l’éducation est un « sous-champ » relativement sous-développé de l’analyse sociologique. Aujourd’hui, un sondage effectué auprès des sociologues britanniques, par exemple, a montré qu’un quart de ceux-ci font des recherches dans ce domaine. Le champ de recherches sur l’éducation s’élargit également. Pendant des années, la sociologie de l’éducation a cherché à déterminer la nature de l’environnement social et psychologique constitué par l’école, à mesurer l’influence que cet environnement exerce sur les élèves (dans tout le processus de leur formation : acquisition des connaissances, adaptation d’attitudes ou élaboration d’une échelle de valeurs) ou encore l’influence des institutions externes sur l’école. La recherche sociologique faite actuellement, tout en s’occupant du fonctionnement de l’institution elle-même, met l’accent avant tout sur la recherche des relations entre les divers types d’éducation et le monde extérieur.

À l’heure actuelle, trois problèmes principaux semblent être au centre des préoccupations des chercheurs : on s’interroge sur l’influence de l’éducation sur la structure sociale ainsi que sur l’égalité des différentes couches sociales devant l’école ; on étudie les rapports entre l’éducation et la famille ; enfin, on envisage les rapports réciproques entre l’éducation et l’économie ainsi que ceux qui existent entre l’éducation et les pouvoirs.


L’éducation et la différenciation sociale

L’école est née d’abord à l’usage d’une minorité, laissant les grandes masses de la population en dehors du système scolaire. En se développant, elle diversifie aussi bien son contenu que sa durée et sa finalité. Il se crée de petites écoles pour le peuple ; quant aux universités, les élites ont des chances plus grandes que les autres d’y accéder. Autrement dit, avec le développement de l’éducation, naît un facteur puissant de différenciation sociale, dont l’influence non seulement ne diminuera pas au fur et à mesure de la généralisation et de la prolongation de l’enseignement, mais bien au contraire va se renforcer de plus en plus en devenant dans certaines sociétés (comme les sociétés socialistes d’aujourd’hui par exemple) le responsable quasi exclusif de la différenciation.