Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

ecclésiologie (suite)

Si l’on admet ces données, on peut reconnaître que Jésus lui-même a voulu fonder l’Église. L’élection des douze apôtres est particulièrement significative. Elle est historiquement bien établie, puisque Judas fut remplacé par un autre apôtre pour compléter le nombre des douze (Actes des Apôtres, i, 15-26) et puisque Paul rapporte la confession de foi primitive des douze apôtres (I, Corinthiens, xv, 5). Le nombre douze symbolise les douze tribus, l’Israël total qui doit être rassemblé. Dans le même ordre d’idées, les paroles de Jésus au soir du jeudi saint montrent qu’en célébrant le mémorial de la pâque il a ordonné à ses disciples d’accomplir, quand il ne serait plus parmi eux, le rite qu’il vient d’inaugurer (« faites ceci en mémoire de moi »). Jésus a annoncé enfin à ses disciples l’envoi d’un défenseur, l’Esprit saint, qui les assistera et leur enseignera ce qu’ils auront à dire, en particulier devant les tribunaux, lorsqu’ils seront mis en jugement (Jean, xvi, 5-15). Tous les ordres donnés par Jésus à ses disciples visent clairement des temps à venir : en particulier l’invitation faite à Pierre, une fois revenu de sa faiblesse, de confirmer ses frères (Luc, xxii, 31) ; la mission de paître le troupeau (Jean, xxi, 15-18) ; enfin la promesse que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église » (Matthieu, xvi, 18), promesse d’indéfectibilité dans la foi dont le caractère primitif paraît indiscutable.

Il reste que l’Église chrétienne n’a pas reçu de Jésus-Christ une constitution stable et complète, au sens où on parle de la constitution d’un État ou des statuts d’une société. L’institution ecclésiastique s’est élaborée au cours des temps. Elle n’est pas qu’une donnée biblique. Elle est aussi un fait de tradition.


L’Église institution

Cette Église qui se manifeste dans le temps et est « mystère céleste » dans sa réalité profonde a donc également le visage d’une société terrestre. De ce point de vue, elle est une institution humaine, avec ses formes de droit, avec des composantes sociologiques et culturelles propres, avec les faiblesses et les vicissitudes historiques que cela implique ; elle est faillible et réformable. Mais il est impossible de dissocier les deux aspects de l’Église sans dissocier du même coup les deux dimensions visible et invisible, actuelle et finale de l’action de Dieu dans le temps, et donc sans détruire à sa racine même l’économie du salut. De même qu’il n’y a qu’une seule humanité du Christ, unie en lui à sa divinité, de même il n’y a qu’une société terrestre visible qui puisse se dire l’Église. Opposer une Église, société humaine, juridique et faillible, à une Église assemblée des saints, vivante et spirituelle, c’est méconnaître à la fois la permanence et la fragilité de cette société qu’est l’Église depuis son origine.

Il convient de définir correctement quel type de société visible l’Église a été appelée à constituer : elle n’est pas une société temporelle au même titre que le royaume d’Angleterre ou la république de Venise, comme le proposait Bellarmin, car elle n’existe pas à côté de ces sociétés mais en elles. Elle est cette société d’hommes que réunissent la participation aux mêmes sacrements, l’écoute de la Parole de Dieu, les efforts pour établir un monde plus juste sous la mouvance du Christ. Elle est alors comme un signe levé sur les nations (Isaïe, xi, 12 ; cf. Vatican I, Dei Filius, chap. iii), un test de la résurrection de Jésus-Christ.

Selon une systématisation qui remonte au xvie s. (Calvin ; catéchisme du concile de Trente) mais s’enracine dans la liturgie du baptême, on a l’habitude de dire de nos jours que l’Église exerce dans le monde une fonction sacerdotale, prophétique et royale. L’Église est sacerdotale parce que tout chrétien offre un sacrifice spirituel avec le Christ ; elle est prophétique parce qu’elle doit veiller au cœur du monde et déchiffrer les « signes des temps » ; et elle est royale parce qu’elle doit annoncer le message pascal, qui libère de toute servitude, dans un monde où les hommes sont esclaves les uns des autres.

L’Église, enfin, est dite « une », « sainte », « catholique » et « apostolique » : une, parce que, malgré ses divisions, Jésus-Christ est pour elle la pierre d’angle et « la voie, la vérité et la vie » ; sainte, parce que, malgré ses fautes, la puissance de guérison et de salut de la résurrection du Christ passe à travers les sacrements ; catholique, parce que, rassemblée des quatre vents, elle doit réunir tous les peuples ; apostolique enfin, parce que c’est sur le fondement des apôtres qu’elle est envoyée à toutes les nations.

Sur la base de ces données, communément reçues, les chrétiens n’accordent pas tous la même importance à l’institution dans l’Église. Cependant, un consensus de plus en plus grand s’est dessiné entre les Églises au sein du mouvement œcuménique pour confesser ensemble que l’Église a été fondée par Jésus lui-même et est fondée sur la reconnaissance de la Trinité et de Jésus-Christ, reconnu comme Seigneur et Sauveur. Sur le fondement de cette foi commune, les communions chrétiennes réunies dans le mouvement œcuménique gardent cependant des ecclésiologies différentes. Cette divergence des ecclésiologies ne peut être résolue par l’Écriture seule ; elle met en jeu à la fois l’interprétation de l’Écriture, c’est-à-dire une herméneutique, et un jugement sur les traditions, c’est-à-dire la critique historique. La question de l’unité de l’Église est ainsi l’objet d’une confrontation à la fois biblique et historique. On formule souvent la question de la façon suivante : « Puisque la promesse du Saint-Esprit est attachée dans le Nouveau Testament non pas à toutes les communautés chrétiennes possibles, mais à la seule Église fondée historiquement par Jésus-Christ, quels sont les critères visibles de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, confessée dans le symbole des Apôtres ? »