Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Durão (José de Santa Rita) (suite)

Il s’agit d’un poème épique profondément inspiré de Camões, composé en dix chants et écrit en huitième rime. L’auteur rassemble des récits et des scènes descriptives, les projetant dans le futur à partir de l’action centrale qui se déroule au xviie s. Les sept premiers chants racontent les difficultés du héros et décrivent les mœurs des Indiens. Les trois derniers chants font le récit des aventures du héros. Caramuru contient en outre un épisode lyrique de grande beauté, la mort de l’Indienne Moema.

C’est le premier poème qui emprunte son sujet à une légende locale. Il se distingue des poèmes narratifs du xviiie s. par l’exotisme de l’argument : le Portugais Diogo Álvares Correia, jeté par un naufrage sur la côte de Bahia, est recueilli par les Indiens, qu’il émerveille par son fusil, recevant le surnom de « Caramuru » (fils du tonnerre).

Par nombre d’aspects, le poème de Durão marque une fidélité au passé et à la tradition : ainsi par la versification chère à Camões et par le sentiment d’émerveillement face à la nature, quand apparaissent déjà des manifestations révolutionnaires d’indépendance politique et littéraire, par la manière de traiter l’indigène, que le poète considère comme bon à convertir, quand on commence à le voir comme une victime des conquérants européens. Durão célèbre l’action de Diogo parce que celle-ci va permettre un épanouissement de la foi chrétienne. Cependant, l’aventure individuelle de Caramuru peut difficilement être considérée comme l’épopée de l’Européen qui découvre le Nouveau Monde.

Le sentiment religieux domine tout le poème. L’auteur combat ce qui n’est pas chrétien chez les sauvages, mais trouve chez eux une morale naturelle qui les rattacherait au tronc biblique. Cette sympathie envers l’homme « naturel » fait de Durão un auteur sensible aux préoccupations de son temps.

Néanmoins, le poète est un précurseur de la poésie indianiste du xixe s. par sa curiosité à l’égard de la vie des indigènes. Dans ce sens, il prépare la voie à certains aspects du nationalisme romantique, et notamment à António Gonçalves Dias (1823-1864).

Il convient de remarquer que la lecture de Caramuru ne révèle ni des préoccupations de théorie littéraire, ni la connaissance d’autre épopée que les Lusiades. Cependant, on y trouve des résidus du cultisme, nombre de traits baroques dans la poétisation des plantes, des fleurs, des animaux des tropiques. Pour se renseigner sur son pays, qu’il ne connaît presque pas, Durão consulte les chroniqueurs et les poètes du xvie au xviiie s. Ainsi réalise-t-il la synthèse des manifestations littéraires qui l’ont précédé. C’est ce syncrétisme littéraire qui fait de Durão la figure typique du xviiie s. brésilien.

L. P. V.

Duras (Marguerite)

Auteur dramatique et romancière française (Gia Dinh, Viêt-nam, 1914).


Elle fait ses débuts littéraires avec des romans qui, à partir du néo-réalisme (la Vie tranquille, 1944), la conduisent, avec les Petits Chevaux de Tarquinia (1953), dans les mêmes zones de recherche que les auteurs du « nouveau roman ». En 1955, elle publie le Square, roman dialogué dont elle tire une pièce qui est créée quelques mois plus tard. Le succès de cet essai dramatique auprès du public intellectuel inaugure la relève de l’avant-garde parisienne des années 50 par un retour à l’intimisme et à la psychologie des profondeurs : une jeune bonne et un commis voyageur d’âge mûr se rencontrent dans un jardin public. Ces deux inconnus, aux vies pareillement dénuées de sens, tentent de briser leur solitude. La politesse sentencieuse de la bonne, la lassitude bougonne du représentant de commerce rendent quasi impersonnel un dialogue où parvient un écho d’un autre dialogue, sourd et vaste (celui des Bonnes de Jean Genet et de la Mort du commis voyageur d’Arthur Miller). Il ne se passe rien : aucune action n’est amorcée, pas même l’ébauche d’une idylle. Seulement deux consciences qui cherchent à s’atteindre à travers des paroles ouatées de silence. La petite bonne juge et condamne sa condition, mais sa révolte reste théorique. Le commis voyageur l’accepte par une lâcheté que transfigurent les menues joies de sa vie : l’émerveillement sourd des jardins publics et des rencontres anodines. Quand sonne l’heure de la fermeture, ces deux êtres se séparent sans s’être réellement rencontrés.

Œuvre discrète, sobre et profonde, à propos de laquelle on a évoqué à la fois Tchekhov et Tennessee Williams, le Square n’a pas été dépassé ni même égalé par les pièces suivantes de Marguerite Duras. Adaptatrice habile d’œuvres étrangères à succès (Miracle en Alabama de William Gibson, 1961 ; la Bête dans la jungle de John Lord, 1961), Marguerite Duras a nourri son théâtre de ses propres adaptations, comme elle avait commencé de le faire avec le Square. Geneviève Serreau remarque que ses créations scéniques sont plus riches quand elle part de son œuvre romanesque que lorsqu’elle s’attaque directement au genre théâtral. La Musica (1966) n’évite ni la préciosité ni la mièvrerie. Mais les Eaux et forêts (1965) retrouvent la manière inimitable qu’a Marguerite Duras d’interroger l’événement par un dialogue sourd et lent, creusant sous sa banalité jusqu’à atteindre une réalité à mi-chemin entre la quotidienneté et le merveilleux. C’est un fait divers authentique qui inspire les Viaducs de Seine-et-Oise : on y voit un couple de vieillards, qui ont jeté jour après jour les morceaux d’un cadavre dans les trains de marchandises qui passaient sous un viaduc, reconstituer le cheminement de leur acte criminel et venir le confesser publiquement dans un café. En 1967, Marguerite Duras a repris ce sujet dans l’Amante anglaise, le dépouillant de représentation réaliste et de tout simulacre : les deux criminels sont placés sur une estrade nue, interrogés par un policier assis dans le public, mis en accusation par le public lui-même, qui s’interroge sur lui-même en les interrogeant.