Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dulles (John Foster) (suite)

Pour lutter contre la menace soviétique en Europe, Dulles désirait que les démocraties occidentales s’unissent : ainsi l’Allemagne serait fermement attachée au monde libre, et l’U. R. S. S. trouverait (levant elle un infranchissable rempart. L’échec de la C. E. D. le déçut : en vain avait-il menacé la France d’une « révision déchirante » de la politique américaine. Il s’employa à renforcer l’O. T. A. N., mais rejeta la proposition de De Gaulle d’un directoire à trois. La signature du traité de paix avec l’Autriche et le règlement du conflit de Trieste furent pour lui des succès. Il garantit en 1958 l’indépendance de Berlin-Ouest, mais ne fit rien pour « libérer » les Berlinois de l’Est en 1953, les Hongrois et les Polonais en 1956.

En Extrême-Orient, F. Dulles redoutait l’expansion de la Chine. Après la signature d’un armistice en Corée, il appuya la présence française en Indochine tout en déplorant la politique colonialiste de la France : dès 1954, les États-Unis viendront tenir la place de l’ancienne puissance coloniale et soutiendront Ngô Dinh Diem. Pour regrouper les pays hostiles au communisme, il mit sur pied le SEATO (Southeast Asia Treaty Organization).

Au Moyen-Orient, les États-Unis tentèrent de combler le vide laissé par l’affaiblissement de l’Europe. Dulles inspira au président Eisenhower la doctrine qui porte son nom. Mais en 1956, il avait obligé la France, la Grande-Bretagne et Israël à arrêter leur expédition en Égypte. Il soutiendra alors une organisation de sécurité collective, le METO (Middle East Treaty Organization), futur CENTO.

Dulles s’est peu intéressé à l’Amérique centrale. Peut-être a-t-il jugé que cette région relevait davantage des attributions de son frère, Allen (1893-1969), directeur de la CIA ?

John Foster Dulles fut un homme courageux et honnête. Mais il arriva au pouvoir dans une période de transition : la vague maccarthiste s’éloigne après 1954 ; la mort de Staline, le développement des recherches nucléaires et spatiales, le mouvement de décolonisation contribuent à accentuer la complexité des années 50. Dulles manqua-t-il d’imagination ? Conservait-il les idées de la génération précédente ? Bien que sa tâche n’ait pas été facile, ses détracteurs sont nombreux. Dulles passe pour l’un de ceux qui ont entretenu la guerre froide.

A. K.

 L. L. Gerson, John Foster Dulles (New York, 1967).

Dumas (Jean-Baptiste)

Chimiste français (Alès 1800 - Cannes 1884).


Son père exerce les modestes fonctions de secrétaire de l’hospice civil d’Alès. Lui-même commence au collège de cette ville des études brillantes, mais, victime d’une injustice, il se refuse à y retourner et prend l’habitude d’aller travailler à la bibliothèque municipale. Cependant, obligé de gagner sa vie, il entre comme apprenti chez un pharmacien. Celui-ci ne lui propose que des besognes subalternes ; au surplus, son pays est profondément divisé par des luttes politiques et religieuses. Aussi, en 1817, prend-il la route à pied pour Genève, où il est bien accueilli par le pharmacien Le Royer, qui l’autorise à poursuivre ses études. Il est remarqué par le botaniste A. P. de Candolle, le physicien R. P. Pictet, Nicolas Théodore de Saussure et le docteur J. L. Prévost.

Ce dernier l’associe à ses travaux sur la génération et sur la physiologie du système nerveux. Lui-même fonde avec Gaspard De La Rive (1770-1834) un cours de chimie expérimentale, construit une balance de haute précision et crée la teinture d’iode pour la médication du goitre.

Sur le conseil d’Alexander von Humboldt, il se rend à Paris, où il rencontre de nombreux savants : Ampère* le fait nommer, en 1823, à la chaire de chimie de l’Athénée, et Arago*, en 1824, répétiteur du cours de Thenard à l’École polytechnique. En 1826, il épouse la fille du minéralogiste Alexandre Brongniart (1770-1847).

En 1829, il participe à la fondation de l’École centrale des arts et manufactures. Il est élu en 1832 membre de l’Académie des sciences, puis est nommé professeur à la faculté des sciences de Paris, à la faculté de médecine, au Collège de France. En 1849, il est envoyé à l’Assemblée législative et devient la même année ministre de l’Agriculture et du Commerce ; après le coup d’État, il est l’un des premiers sénateurs nommés. Président du conseil municipal de Paris (1859), il s’occupe activement de l’assainissement de la capitale : éclairage au gaz, adduction d’eau, aménagement des quartiers insalubres, hygiène, urbanisme. On doit également signaler l’enquête sur les engrais, la lutte contre le phylloxéra, la fondation du Bureau international des poids et mesures.

Ses fonctions politiques finissent par l’absorber complètement, mais il les abandonne à la chute de l’Empire. Il reprend alors, à soixante-dix ans, ses recherches dans le laboratoire de son élève Pasteur et publie, comme dernière œuvre scientifique, une étude sur les fermentations. En 1875, il remplace Guizot à l’Académie française.

Son œuvre est considérable. Ses premiers travaux, effectués à Genève en collaboration avec le docteur Prévost, portent sur la transfusion du sang, qu’il estime possible entre animaux de même espèce. Il étudie également la contraction musculaire et la fécondation.

Mais c’est en chimie, tant théorique qu’expérimentale, qu’il se révèle comme le plus grand savant français depuis Lavoisier*. Il est le premier à mettre couramment en équations les réactions chimiques. Dans un mémoire de 1826, Sur quelques points de la théorie atomistique, il formule les principes fondamentaux de la chimie générale : d’une part, l’adaptation de la notion de molécule ; d’autre part, une classification des métalloïdes fondée sur leurs valences. En 1827, il imagine les premières méthodes de mesure des densités de vapeurs ou observe les anomalies présentées par la vapeur de soufre. Spécialiste de l’analyse chimique, il effectue avec Boussingault la première étude pondérale de la composition de l’air. En collaboration avec Stas, il réalise des expériences de précision sur les combustions du carbone et de l’hydrogène, qui permettent la fixation des nombres proportionnels de ces éléments. Il met au point, en 1830, la méthode de dosage organique du carbone, de l’hydrogène, de l’oxygène et de l’azote, par emploi de l’oxyde de cuivre au rouge. La même année, il découvre les aminés primaires ; deux ans plus tard, avec Laurent, il retire l’anthracène des goudrons de houille. En 1834, il prépare les acides chlora-cétiques, ce qui le conduit à appuyer de toute son autorité la théorie des substitutions de Laurent. Une étude complète de l’alccol amylique lui permet aussi de définir la fonction alcool.

Parmi ses ouvrages, citons le Traité de chimie appliquée aux arts (1828), qui reste un des monuments de la science chimique, et surtout ses Leçons de philosophie chimique professées au Collège de France (1837).

« Depuis J.-B. Dumas, écrira Georges Urbain, nul chimiste ne s’est risqué à écrire ou à professer une Philosophie chimique. Quel meilleur éloge pourrait-on faire du livre, unique en son genre, que nous a légué ce maître inégalable ? »

R. T.