Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Algérie (suite)

L’ampleur des migrations intérieures et de l’urbanisation s’explique par le caractère dramatique des secousses historiques, mais aussi par l’état de profond déséquilibre dans lequel se trouvait auparavant la société algérienne. La crise des campagnes traditionnelles, bouleversées par l’implantation coloniale et par la pression démographique, a préparé les grands exodes de 1955-1965. On ne peut imaginer un tel mouvement sans des conséquences profondes dans tous les domaines, et notamment dans l’organisation de la société. Celle-ci n’a-t-elle pas éclaté au milieu de toutes ces migrations, qui ont séparé les paysans de leurs terroirs ou les pasteurs de leurs parcours, qui ont donné aux femmes une nouvelle indépendance dans des structures moins farouches et qui ont délié ou compliqué les multiples liens et la solidarité sans faille de la société des « cousins » ? Traumatisée par l’épreuve, mais unie par son attachement à l’islām et à l’idée nationale, la société algérienne cherche encore sa voie.


L’inégalité des répartitions géographiques

La répartition géographique de la population apparaît plus inégale que jamais, accusant la dissymétrie du territoire, déjà signalée. N’y a-t-il pas, phénomène de plus en plus nettement marqué, deux Algéries ?

Au nord, en bordure de la Méditerranée, moulée sur les plaines et les collines du Tell, s’étire l’Algérie des fortes densités, des grandes métropoles et des villes rapprochées. Le nombre des habitants au kilomètre carré excède le chiffre de 60 dans l’ensemble du Tell et il dépasse même 100 dans les plaines de l’Algérois et de l’Oranais ainsi qu’en Kabylie. Quatre grandes métropoles, Alger (950 000 hab.), Oran (350 000 hab.), Constantine (250 000 hab.) et Annaba (165 000 hab.), commandent un réseau urbain très dense qui comprend treize autres villes de plus de 50 000 habitants et de nombreux centres locaux.

Au sud, de la steppe au désert, s’étend l’Algérie des grands espaces dénudés et vides. Les densités diminuent de 50 en bordure du Tell à l’unité ou au vide absolu dans le Sahara. Il n’y a aucune grande ville, mais seulement quelques centres perdus dans le bled, des oasis et des cités pétrolières.


L’économie


Dissymétrie et sous-développement

Des signes de dégradation étaient apparus bien avant l’indépendance : le chômage persistant, l’émigration vers la métropole, la prolifération des bidonvilles péri-urbains, la surpopulation de certaines régions du bled et notamment des principaux massifs montagneux (Kabylies par exemple). En outre, l’organisation des échanges extérieurs plaçait l’Algérie dans la dépendance complète de la France (exportations de minerais et de produits agricoles, importations de produits finis, émigration de travailleurs, transferts de capitaux, sous-industrialisation). L’Algérie indépendante a hérité de cette situation, et, en dépit des efforts déployés, les effets n’en ont pas encore été effacés. L’Algérie reste un pays sous-développé, par la faiblesse de sa production industrielle, les insuffisances multiples de son agriculture, le bas niveau de vie des habitants (confinant souvent à la misère), le caractère chronique du chômage urbain et du sous-emploi dans les campagnes.

Cependant, l’Algérie se distingue aussi de la plupart des pays sous-développés grâce à certains héritages de la colonisation, que complètent quelques réalisations plus récentes. Ainsi dispose-t-elle, surtout dans la partie tellienne de son territoire, d’une excellente infrastructure de transports (ports modernes, aéroports, routes et voies ferrées). Après avoir enregistré de graves retards, la scolarisation des jeunes Algériens progresse. Certes, une grande partie de la population adulte est analphabète, mais plus de la moitié des enfants d’âge scolaire fréquente maintenant les écoles, les collèges et les lycées, tandis que trois universités fonctionnent à Alger, à Oran et à Constantine. La colonisation, enfin, avait implanté sur le territoire algérien une agriculture de type moderne, dont la reconversion pose bien des problèmes, mais dont les techniques comme les structures tranchent radicalement sur celles de l’agriculture traditionnelle. Le pétrole et l’industrialisation, enfin, ont maintenant dépassé le stade des promesses pour entrer dans l’ère des réalisations. Ainsi, l’Algérie contemporaine juxtapose-t-elle dans son économie comme dans la société les visages de la misère et de la stagnation et ceux du modernisme et du développement.


L’agriculture traditionnelle

L’agriculture traditionnelle occupe environ 85 p. 100 de la population agricole de l’Algérie. Dans un pays où près de la moitié de la population active est composée d’agriculteurs, ce secteur peut être considéré comme le plus important du point de vue social. Cependant, ses possibilités restent très limitées, puisqu’il ne dispose que des deux tiers des surfaces cultivées et ne fournit même pas la moitié du revenu agricole national.

L’efficacité économique de l’agriculture traditionnelle, en termes comptables, apparaît très faible. Ainsi, les rendements moyens des cultures céréalières, les plus importantes en surfaces, s’établissent-ils souvent en dessous de 5 q par hectare et pratiquement jamais au-dessus de 10 q. Ces rendements sont sensiblement plus faibles que ceux de l’agriculture autogérée (ex-coloniale). Il en est de même pour les autres productions (notamment les cultures de pommes de terre, d’arbres fruitiers et de légumes, ainsi que l’élevage).

Les faiblesses de ce secteur, cependant fondamental, tiennent à de multiples causes. Les conditions physiques ont été déjà brièvement analysées : le milieu semble multiplier les difficultés, surtout vers le sud ; la fragilité des sols (notamment dans les régions montagneuses) et la répartition très aléatoire des précipitations (au sud du Tell surtout) rendent problématique tout effort d’intensification. En ce qui concerne les moyens techniques, l’agriculture des fellahs, en dépit de quelques améliorations, dispose en général d’instruments aratoires très rudimentaires ; ses traditions sont celles de la pauvreté ; l’irrigation est très insuffisamment développée. Parmi les causes sociales et historiques, les structures des propriétés foncières et des exploitations combinent les inconvénients de la complexité à ceux de la rigidité, en dépit du développement d’une classe de latifundiaires ; ainsi, la très grande majorité des fellahs vit sur des exploitations beaucoup trop étroites (les deux tiers des exploitants ont moins de 10 ha) ou même ne dispose d’aucune terre (1 million environ de fellahs sans terre), alors qu’une poignée de grands propriétaires maintiennent une emprise réelle sur de vastes surfaces. À toutes ces causes, il faut ajouter les ravages de la guerre d’indépendance, qui s’est développée pendant de longues années au sein même de la population paysanne, désorganisant les parcours, détruisant les habitations, déplaçant 2 millions de personnes pour créer de nouveaux villages, les uns modèles, les autres sordides, à la périphérie des principaux massifs montagneux.