Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Dieu (suite)

Pour admettre, comprendre et justifier une telle affirmation, il ne faudra pas moins que l’histoire du peuple juif et celle de l’humanité tout entière. Mais, dès à présent, on peut noter ceci : un tel rapport divino-humain, qui exclut tout polythéisme, toute idolâtrie, ne constitue pas un privilège ; il ne peut être assuré par le peuple qui y est appelé que comme une fonction de service. On est ici aux antipodes de toute secte de caractère initiatique ou gnostique : Moïse et le peuple hébreu avec lui sont établis dès l’origine dans un statut de « peuple-prêtre » à l’égard des nations.


Le Dieu du judaïsme

Dans le judaïsme, la révélation de Dieu n’est pas une manifestation sur laquelle l’homme aurait prise et qui commencerait comme une connaissance ; elle est un événement qui instaure une alliance entre Dieu et un peuple, et trace un sillon dans l’histoire du monde. Dès lors, entre Dieu et ce peuple, une histoire a commencé, dont l’originalité est que Dieu y parle selon des voies propres (« prophétisme » au sens biblique) et par des événements qui rappellent l’intervention inaugurale de Dieu lors de l’Exode d’Égypte. Il n’y a rien de nouveau au long de cette histoire par rapport à ce qui a été manifesté au temps du Sinaï ; cependant, la tradition d’Israël approfondit et précise sans cesse ce qui a eu lieu pour cette génération-là. Le peuple juif est appelé à écouter tout au long de son histoire la révélation faite à Moïse (Shema Israël), à se remémorer comme un événement toujours actuel le don de la Torah (enseignement reçu et transmis).

Dieu n’est, pour le judaïsme, ni vu ni connu ; il ne peut pas même être nommé. Quand Dieu révèle son nom, eyeh acher eyeh (Exode, iii, 14) : « Je suis qui je suis », ou plutôt « je serai qui je serai (pour vous) » [c’est-à-dire « vous me reconnaîtrez à mes œuvres »], ce nom n’a de sens dans l’immédiat que pour Israël, qui fait l’expérience de la proximité et de la présence agissante de Dieu. Car le « Nom » mystérieux n’est aucunement une révélation de Dieu dans son essence, mais seulement l’affirmation d’une puissance agissante à l’endroit d’Israël. Ainsi, le Dieu du Sinaï est reconnu plutôt en « marchant » selon des voies qu’en « croyant » en lui. L’alliance est scellée dans l’observance de la « Torah » (« enseignement » plutôt que « loi ») donnée par Dieu aux hommes.

Si cette notion biblique de Dieu inaugure le particularisme d’une tradition, elle est aussi la plus universaliste qui soit. Le Dieu de la Bible est le Père de tous les hommes. Aussi, la révélation faite au peuple juif ne lui est-elle pas attachée comme un privilège ; elle doit être livrée en partage à l’humanité entière.


Jésus-Christ, homme et Dieu

Pour le judaïsme actuel, cet élargissement aux nations doit se produire par l’intermédiaire du peuple juif ; pour les chrétiens, il est lié à la personne de Jésus-Christ et se réalise dans une économie nouvelle, que l’histoire du peuple juif signifie et prépare, aujourd’hui encore, dans la trame de l’histoire humaine, mais qui a son accomplissement dans le christianisme.

Dans le Nouveau Testament, le mot Dieu désigne toujours le Dieu de l’Ancien Testament, encore appelé Père ou le Père. Sous ce jour, Jésus apparaît comme le témoin de la révélation monothéiste du judaïsme en ce qu’elle a de plus traditionnel. Mais le Nouveau Testament indique que Jésus est non seulement un « fils de Dieu », mais son fils et « le Fils ». La présence de Dieu est sur lui. Il est « né de Dieu ». Croire en la filiation divine de Jésus, c’est admettre qu’il n’y a pas de connaissance parfaite de Dieu en dehors de lui. Pour le christianisme, l’héritage du judaïsme culmine et vient s’accomplir dans la personne de Jésus, ce qui est impensable suivant la tradition juive, pour laquelle Jésus n’est qu’un homme parmi les autres, mais qui prend un sens nouveau aux conséquences infinies pour les chrétiens, s’il est le Fils de Dieu. La révélation du Sinaï pouvait et peut demeurer le bien particulier d’un peuple en tant que révélation faite à un peuple déterminé ; celle du Golgotha, bien qu’elle survienne au cœur de l’histoire de ce peuple, prend un caractère directement universel si, en la personne de Jésus, Dieu même est venu habiter la terre, s’est approché et a rencontré les hommes. À partir de là, l’histoire des relations de Dieu et des hommes, interprétée d’abord à la lumière de la révélation faite au peuple juif, peut être interprétée tout entière également à la lumière de la christologie.


L’approche théologique de Dieu


L’interprétation philosophique de la révélation de l’Exode

Les interprètes modernes de la Bible remarquent qu’il y a trois traductions possibles de la révélation du nom de Dieu à Moïse dans l’Exode (iii, 14), selon qu’on y voit surtout l’affirmation de la permanence de Dieu (« Je serai avec toi »), de son efficacité (« Je serai réellement et vraiment là ») ou de sa transcendance (« Je suis qui je suis », c’est-à-dire le seul qui existe vraiment auprès des autres dieux, qui ne sont que néant). Il faut sans doute tenir ensemble ces divers aspects que l’hébreu, langue inclusive, rend mieux que le français. La version grecque dite « des Septante » a introduit ici au cœur du message biblique une pierre d’attente pour une philosophie de l’être en traduisant « je suis celui qui suis » (ego eimi ho ôn). Aussi, les Pères de l’Église ont-ils spontanément interprété l’Exode (iii, 14) dans la ligne philosophique de l’Être absolu, en dépendance de Parménide et de Platon. La séparation entre la philosophie et la théologie relativement à la question de Dieu demeure néanmoins, ce qui fait que saint Augustin fut amené à dire que Dieu, étant l’être immuable, donc véritable, se nomme aussi le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Saint Thomas d’Aquin ne fera pas autre chose en utilisant la philosophie d’Aristote et soulignera l’hétérogénéité, du point de vue de la connaissance de Dieu, de la philosophie et de la théologie.