Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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dictionnaire (suite)

C’est à certains défauts de Littré que remédie le Dictionnaire général de la langue française du commencement du xviie s. jusqu’à nos jours, publié de 1890 à 1900 par A. Hatzfeld, A. Darmesteter et A. Thomas. Cet ouvrage (2 volumes) regroupe selon l’histoire et la logique les différents sens, d’abord sous des chiffres romains, ensuite sous des chiffres arabes ; ce modèle de présentation a inspiré divers travaux contemporains de lexicographie. D’autre part, le Dictionnaire général essaie d’aller à l’essentiel et emprunte notamment ses exemples (entre autres) aux auteurs du xixe s.


Problèmes linguistiques posés par les dictionnaires

Contrairement à la lexicologie, qui tente de décrire scientifiquement les segments d’énoncé, la lexicographie, qui établit les règles de confection des dictionnaires, est restée prisonnière d’une longue tradition ; elle considère encore les unités à classer comme des entités isolées et non comme les éléments d’un ensemble. Pourtant, la confection des dictionnaires implique une certaine théorie du langage ou de la grammaire.


Classement des entrées

La tradition a privilégié l’ordre alphabétique, qui permet de retrouver rapidement les adresses, mais qui traite par exemple antonyme à A, homonyme à H et synonyme à S ; d’où des redites et la difficulté de montrer les rapports entre ces mots. Le classement étymologique évite ces inconvénients ; il a été utilisé notamment pour la première édition du Dictionnaire de l’Académie. Il groupe les mots selon l’origine, autour d’une racine ou d’un mot primitif : sous chemin, par exemple, on trouvera cheminer, acheminer, s’acheminer, acheminement, chemin de fer, cheminot, chemineau, etc. Très intéressant quand on veut s’en tenir à l’histoire des mots, ce procédé a contre lui les incertitudes et les lacunes de la philologie (v. étymologie) et les difficultés de consultation : à moins d’avoir un répertoire alphabétique (dans ce cas on cherchera deux fois), l’utilisateur devra savoir qu’abeille est sous apiculteur (ou inversement). Le classement par matières (ou notionnel) regroupe les mots par champs sémantiques, d’après les concepts auxquels ils correspondent. Le classement analogique, utilisé par Prudence Boissière (1806-1885) pour son Dictionnaire analogique de la langue française (1862), réunit autour de 2 000 entrées environ tous les mots qui s’y rattachent par des relations de cause, de moyen, d’effet, etc. Le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (1953-1964) de Paul Robert étend la notion d’analogie, notamment aux synonymes.


Le choix des entrées

Des mots comme vache et cheval se différencient nettement sur le plan du contenu comme sur le plan de la forme, mais facteur et préposé désignent le même fonctionnaire (avec certaines différences d’emploi) ; enfin, tonneau (récipient) et tonneau (culbute) s’appliquent à des réalités toutes différentes. Si l’on décide (solution logique qu’avait adoptée l’Inventaire du P. Philibert Monet [1566-1643]) de mettre une entrée pour chaque association forme-sens, on va au-devant d’une division à l’infini : tonneau, récipient, contenu de ce récipient, unité internationale de volume ; socialisme, doctrine, régime, ensemble de socialistes, etc. Il est difficile de dire quelle est l’« unité de sens ». Mais si l’on s’en tient à l’unité de forme, on mettra sous une même adresse grève « terrain plat le long de la mer ou d’une rivière » et « interruption concertée du travail ».

La tradition lexicographique suppose en outre que le mot graphique est la base de l’examen des significations. Or, l’analyse linguistique montre que le mot peut se décomposer en unités signifiantes inférieures (morphèmes) ; en sens inverse, c’est assez souvent une suite de formes séparées par des blancs qui correspond à une « unité de sens » (pomme de terre, chemin de fer, bac à glace). Les cas où le mot graphique se confond tout à fait avec l’unité sémantique sont l’exception dans le lexique*. Enfin, le choix des entrées peut aboutir à des ouvrages soit sélectifs, qui n’enregistrent que le vocabulaire d’un certain type, soit extensifs, dont la fin est de fournir la totalité des mots existants.


Les renseignements d’ordre grammatical

Les dictionnaires de langue sont ou bien essentiellement normatifs (ils renseignent alors sur la manière « correcte » d’employer les mots), ou bien descriptifs. Ils donnent, immédiatement après l’adresse, la catégorie dans laquelle le mot peut être rangé (ils se réfèrent alors à la grammaire officielle, en l’aménageant parfois) ; on a ensuite certains traits combinatoires (genre et parfois nombre pour les noms, construction pour les verbes).


La définition

On distingue trois types de définitions. Les moins prisées sont les définitions par équivalences (grotte = caverne), auxquelles on reproche de supposer connu le sens d’un terme aussi difficile que l’entrée. On peut aussi intégrer l’unité dans un champ sémantique en indiquant quels rapports elle entretient avec des mots au sens supposé connu : rapports d’opposition ou négation (anticonformiste = qui est contre le conformisme), parenté (gendre = mari de la fille). On préfère les définitions logiques, qui sont formées d’un définisseur générique (« siège » pour balançoire) et d’un ou plusieurs définisseurs spécifiques caractérisant l’adresse par rapport aux autres éléments de l’ensemble (pour balançoire, « suspendu à deux cordes » et « sur lequel on se balance »). On est toutefois conduit ainsi à définir chat par « mammifère qui... », comme si mammifère était plus connu que chat.


Les exemples

L’utilisation, dans le corps de l’article, de phrases ayant pour but de présenter l’unité replacée dans son élément naturel, le discours, pallie l’insuffisance des indications grammaticales ou de la définition. Le choix de ces exemples dépend de la conception du dictionnaire. Depuis Richelet jusqu’à une époque récente, ils étaient généralement empruntés aux « bons auteurs », considérés comme dignes d’imitation. On proposait ainsi un modèle très étroit (limité à la langue littéraire), clos (déterminé par une liste quasi exhaustive), mais en même temps trop large puisque des formes d’époques et de systèmes différents y figurent au même titre.