Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

développement économique (suite)

Les travaux de définition des critères du sous-développement sont indissociables de toute la réflexion théorique contemporaine en ce domaine : ils ont montré la complexité du phénomène étudié, ont suggéré l’existence de structures stables, grâce auxquelles on a pu préciser ce qu’est le développement et ce qu’est le sous-développement, en en dessinant des types idéaux. Ils ont, par la suite, montré — c’est un des intérêts des recherches de Berry — que les situations réelles étaient moins nettes que celles qui résultaient de ces simplifications nécessaires et ont rappelé la dimension historique du phénomène étudié.


L’extension géographique

C’est dans cette optique qu’il convient de se placer si l’on veut comprendre l’extension du sous-développement dans le monde actuel. Si l’on choisit comme critère celui qui résume de manière la plus simple tous les autres, le revenu brut par habitant, et si l’on admet que, partout où le revenu est inférieur à 500 dollars par an, on n’a pas accédé à la croissance, la carte du tiers monde paraît simple : elle met en évidence de grands ensembles et montre la coïncidence générale des zones de misère et du monde tropical.

Dans l’Ancien Monde, toute l’Afrique noire, à l’exception de l’Afrique du Sud et peut-être, depuis peu, du Gabon, entre dans cette catégorie inférieure. L’Asie du Sud-Est est dans la même situation : du Pākistān à l’Indonésie en passant par l’Inde, Ceylan, les États indochinois et la Malaisie, on trouve la même médiocrité générale, avec des nuances dans le niveau et dans le dynamisme cependant, comme le montrent certains pays dont l’économie n’est pas languissante, telles la Malaisie et la Thaïlande. Au-delà, en Extrême-Orient, la croissance est faible, mais la situation est moins désespérée, malgré la charge humaine : la Corée du Sud, T’ai-wan sont, comme Hongkong, en pleine mutation, cependant que la Chine et la Corée du Nord commencent à disposer d’équipements modernes.

Au Moyen-Orient et dans le Nouveau Monde, la répartition des nations sous-développées et des nations avancées est peut-être moins simple. Dans l’ensemble, les pays tropicaux y sont moins favorisés, mais les revenus du pétrole, certains héritages des périodes de dépendance extérieure rendent le tableau plus contrasté. Au nord et au sud de l’Amérique hispanique, au Mexique d’une part, au Chili, en Argentine et en Uruguay de l’autre, on est hors des situations typiques du sous-développement. Entre ces deux zones, les revenus sont médiocres, à l’exception de ceux de la Jamaïque, du Surinam et surtout du Venezuela.

La Libye et le Koweit apparaissent comme des exceptions dans la zone de très faibles revenus du monde arabe. Le Liban est le seul État qui réussisse, sans gisement pétrolifère, à s’élever au-dessus de la médiocrité commune. Sa situation n’est pas pour autant excellente : elle n’est guère meilleure que celle du Portugal.

Le critère des 500 dollars est très grossier : il convient de le nuancer en tenant compte des inégalités intérieures à l’État, de la situation sanitaire, du niveau culturel et du dynamisme de l’économie. Pour de très grands pays, comme le Brésil ou l’Inde, la médiocrité des moyennes ne doit pas faire oublier qu’il existe des zones dont le développement est remarquable et dont l’activité est souvent aussi variée que celle des zones métropolitaines nord-américaines ; que l’on songe à la région de São Paulo !

Les pays de vieille civilisation de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est sont souvent capables de procéder à des mutations technologiques rapides. Leur niveau culturel et technique s’améliore rapidement. La médiocrité des consommations alimentaires constitue le handicap le plus sérieux : on peut cependant penser que certains pays sont sur la voie du décollage, ceux de l’Asie du Sud-Est en particulier.

En Afrique, le niveau culturel est généralement bien plus médiocre, et les infrastructures précoloniales sont absentes. Le démarrage semble alors presque exclusivement lié à la présence de ressources abondantes : c’est ce qui fait la fortune actuelle du Gabon, de la Côte-d’Ivoire, du Zaïre et de la Zambie. Le mouvement ainsi créé pourra-t-il durer si les ressources s’épuisent ? Sujet d’inquiétude permanent pour tous ces jeunes États.

En Amérique, la situation est très variable. À l’extrémité méridionale du continent, les pays tempérés semblent presque à égalité avec ceux de l’hémisphère Nord dans un grand nombre de domaines, mais leur économie vacille, et ils paraissent basculer vers le sous-développement au lieu de s’en défaire. Au Mexique, au Venezuela, au Brésil, le démarrage semble se confirmer.

Le Moyen-Orient offre le même aspect contrasté. Jusqu’à présent, l’Iran est la seule nation à y avoir réussi une mutation décisive. Le Maghreb (sauf peut-être l’Algérie pétrolifère) est écrasé par sa surpopulation rurale et la médiocrité de ses ressources. La même disproportion entre surcharge démographique et insuffisance des richesses naturelles caractérise l’Égypte. La Syrie et l’Iraq sont mieux doués, mais leur situation n’est pas très bonne.

Cette répartition des zones insuffisamment développées montre combien l’évolution dans ce domaine est rapide. La misère d’une portion énorme de l’humanité fait oublier les bouleversements sensibles de la carte depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : les pays tempérés de l’hémisphère Nord, y compris ceux des rivages nord de la Méditerranée, ont tous réussi à démarrer, et, dans le cas de l’Italie, du Japon, la croissance a été fulgurante.

Dans le courant des années 50, sous-développement et monde tropical ont coïncidé presque parfaitement. Aujourd’hui, pour la première fois, des nations au climat chaud accèdent à la civilisation moderne : aucune n’est parvenue à rattraper la vieille Europe ; mais certains des cercles vicieux que l’on croyait tenaces ont été brisés sans trop de mal. Reste la masse énorme de population rurale sous-alimentée dans les terres chaudes de l’Asie. C’est là que se trouve sans doute le problème le plus difficile. À moins que la révolution verte, dont les effets s’affirment, n’offre enfin la solution.

P. C.