Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

dessin (suite)

Le langage du dessin

Toutes ces techniques doivent leur prodigieux développement à la fois à une modification dans les conceptions visuelles de la forme, mise en avant par la peinture, et à la diffusion du papier, dont la fabrication s’améliore dès le début du xve s. Il s’y ajoutera, durant le xvie s., une demande particulière des collectionneurs, à la recherche de dessins « d’inspiration ».

Mais il faut également accorder une attention particulière au rôle joué par le dessin dans la composition, depuis l’organisation schématique d’un ensemble fondée sur une « mise en place » perspective et sur un schéma géométrique d’équilibre et de direction des formes, jusqu’à la définition réciproque de ces formes par association et proximité. Autant d’opérations qui ont nécessité une instrumentation particulière, à base de « réticules » transparents, de boîtes optiques, de « chambres obscures » dont nous parlent les anciens traités. Le dessin est ainsi devenu une science, que la pratique du dessin d’anatomie rendra encore plus complexe, et cela d’une manière abusive dans l’enseignement, par suite d’une confusion entre dessin d’application scientifique et dessin de création artistique.

De son côté, l’autonomie acquise par le dessin au cours des siècles a eu comme conséquences des « querelles » répétées sur la primauté du dessin ou de la couleur, depuis la plus célèbre, survenue au cours du xviie s. En fait, la vraie querelle apparaît plutôt au niveau de la conception, du « dessein », en jouant sur l’orthographe du mot primitif et sur le sens qu’il a pris désormais par rapport au mot anglais « design* ». Ce dernier s’adresse davantage à l’organisation de l’ensemble des formes dans une page et, partant, peut être le guide d’une recherche organique applicable à toutes sortes d’expressions.

Ces nuances de sens n’affectent pourtant que très peu les habitudes de travail qui ont été acquises au cours des siècles : et, même si aujourd’hui le refus de pratiques antérieures s’affirme chez certains comme la première démarche d’un art « autre », le dessin utilise toujours des moyens techniques « anciens ». À bien des égards, l’art abstrait, en particulier, aura plutôt mis l’accent sur l’importance des éléments constitutifs, comme l’a montré Klee*, jusque dans la pédagogie du dessin. Une foule de nuances ont été apportées, aboutissant à l’élaboration d’un véritable langage fondé sur le point, le trait, la ligne, les hachures, la tache, le frottis, etc. Ainsi, depuis les propositions d’un Degas* ou les jeux d’un Seurat* avec le grain du papier jusqu’aux collages* et aux frottis de Max Ernst*, issus d’un certain automatisme*, le dessin contemporain a surtout amplifié le champ de ses investigations, devenant un moyen d’expression du « psychisme des profondeurs ». Ce qui, somme toute, correspond bien à cette tendance a l’autonomie que nous constatons dans l’histoire du dessin : celle-ci est un peu, également, l’histoire de la conquête d’une individualité chez l’homme, comme le signe de son appartenance à tel ou tel type de société.

J. R.

➙ Caricature / Peinture.

 J. Meder, Die Handzeichnung, ihre Technik und Entwicklung (Vienne, 1919 ; 2e éd., 1923). / C. De Tolnay, History and Technique of Old Masters Drawings ; a Handbook (New York, 1943). / P. Lavallée, les Techniques du dessin, leur évolution dans les différentes écoles de l’Europe (Éd. d’art et d’histoire, 1949). / H. Hutter, Die Handzeichnung, Entwicklung, Technik, Eigenart (Vienne, 1966 ; trad. fr. le Dessin, ses techniques, son évolution, Hachette, 1969). / C. Hayes, Grammar of Drawing for Artists and Designers (Londres, 1969). / G. Lindemann, Prints and Drawings, a Pictorial History (Londres, 1970). / C. Eisler, Dessins de maîtres du xive au xxe siècle (Edita-Vilo, 1975).


Le dessin chez l’enfant

Le dessin est une activité spontanée, privilégiée de l’enfant, qui aime projeter sur la feuille de papier toute une fantasmagorie en noir et en couleur. Les observateurs, depuis la fin du siècle dernier, étudient dessins et peintures en tant qu’expressions privilégiées de la vie enfantine.


Le dessin en tant qu’expression du développement de l’intelligence

L’organisation du dessin et des données perceptives est fonction des stades du développement intellectuel, comme l’ont montré G. H. Luquet, F. Goodenough (1926), H. Fay, A. Rey (1947) et plus récemment J. Piaget, H. Wallon, L. Bender, R. Zazzo.

Les premières manifestations graphiques se situent à douze mois : taches puis traits, gribouillages conditionnés par les progrès moteurs de l’enfant. Après une période de « réalisme manqué » (Luquet) ou d’« incapacité synthétique » contemporaine de la troisième année, les caractéristiques cliniques du dessin apparaissent vers trois ou quatre ans sous forme d’un « réalisme intellectuel ». L’enfant dessine ce qu’il sait de l’objet et non ce qu’il en voit, selon un modèle interne qu’il projette sur la feuille de papier ; les objets sont ainsi figurés transparents (fig. 1 : mobilier d’une maison dessiné sur une façade), les verticales sont rabattues latéralement ; la perspective est méconnue ; les plans ne sont pas coordonnés ; les objets ont la taille de leur intérêt qualitatif aux yeux de l’enfant ; on remarque en outre la juxtaposition sur une même feuille de détails narratifs, l’usage de couleurs variées, riches, sans corrélation avec la réalité (fig. 2). À cette période, deux directions vont s’offrir à l’enfant qui peuvent valoriser soit le dynamisme, le mouvement des objets figurés, soit leur représentation statique ; ces deux styles ne sont pas sans rapprochement, comme nous le verrons bientôt, avec le style même de la personnalité.

Vers huit ans, parfois avant, apparaît le « réalisme visuel », c’est-à-dire une recherche de conformité à l’apparence nettement influencée par la scolarisation et l’apprentissage technique. Petit à petit, l’écriture et le langage parlé prennent le pas sur le dessin et son originalité s’efface au profit des acquisitions scolaires chez la plupart des enfants.

La constance de la succession de ces stades a permis d’évaluer le développement de l’intelligence (âge mental) sur le nombre de détails figurés dans un dessin. Malgré la corrélation statistique avec la cotation de l’intelligence verbale, au niveau individuel l’interprétation d’un échec doit tenir compte en fait de la personnalité de l’enfant tout entière.