Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

déséquilibre (suite)

L’adolescence ne fait qu’aggraver les troubles. La délinquance y est fréquente, quoique non constante. Le service militaire se termine souvent par une réforme après une série de conflits, désertions, excès alcooliques, violences ou tentatives de suicide, alors même que l’engagement avait pu être anticipé ou volontaire. Les changements d’emplois ou de métiers, des voyages désordonnés, une véritable errance d’un endroit à un autre sont fréquents. Les psychopathes travaillent par accès, de manière paroxystique, puis ils s’interrompent souvent sous le prétexte d’un « coup de pompe » ou d’un besoin de « changer d’air ». Il s’agit pour eux de voir du pays, de varier les ambiances. Le comportement sexuel est généralement troublé : activité trop faible ou trop débordante, déviations sexuelles fréquentes (sadomasochisme, exhibitionnisme, fétichisme, homosexualité, prostitution, voyeurisme, etc.). Les amours sont instables et fugaces. Les oublis faciles alternent avec des jalousies furieuses, les ruptures dramatiques avec des retrouvailles exaltées. Le déséquilibré satisfait toujours mal aux exigences de la vie conjugale : séparation, divorce, concubinage instable, polygamie. Il joue médiocrement son rôle parental : abandon moral ou matériel des enfants, inaffectivité ou carence d’autorité. Les relations amicales sont empreintes de la même inconstance ou de la même superficialité. Le psychopathe apparaît aux yeux de ses proches tantôt comme un être fantasque, original ou bizarre, tantôt même comme un pervers inaffectif. Il a peu ou pas le sentiment de culpabilité, peu ou pas d’anxiété véritable. Les réactions aux événements sont absentes ou au contraire exagérées, mais toutes de surface, artificielles. Chez la femme, il existe souvent un comportement théâtral. La mythomanie est habituelle : le déséquilibré aime à falsifier son existence et ses souvenirs, il cherche toujours à se présenter à son avantage avec une certaine complaisance. Il apparaît tour à tour comme un paranoïaque, un hystérique, un cyclothymique, un pervers. Certains déséquilibrés sont froids, rétifs, durs, inamendables, récidivistes de la délinquance, inintimidables, rigides et malins. D’autres sont plus émotifs, instables, nonchalants, apathiques ou abouliques, faibles ou inconsistants. Dans tous les cas, il faut souligner l’absence d’inhibition, de frein moral, le besoin de satisfaction immédiate, l’impatience à vivre au jour le jour. Comme V. Magnan (1835-1916) l’avait bien souligné, ils sont capables de lucidité de raisonnement, ils peuvent mimer l’homme normal dans son discours, mais ils échouent complètement quand il s’agit de leur vie.

Les complications ou les accidents du déséquilibre sont très fréquents : fugues, tentatives de suicide répétées, colères, scandales, crises de nerfs, démarches inopportunes, toxicomanies surtout, toujours multiples et presque constantes, délinquance sous toutes ses formes (vols, escroqueries, chèques sans provision, simulation de maladies, agressivité destructrice, etc.).

Il faut cependant noter que la délinquance avérée n’est pas obligatoire chez le déséquilibré, et il n’est pas inutile de rappeler que tout délinquant n’est pas forcément un déséquilibré.

L’évolution du déséquilibré se fait souvent vers l’aggravation dans le sens du grand désordre des actes et de la délinquance avec inadaptabilité totale : la prison ou l’hôpital psychiatrique marquent le terme des grands déséquilibrés caractériels dangereux. Elle peut se faire encore vers des complications psychotiques ou vers des toxicomanies chroniques. Mais on peut voir parfois vers l’âge moyen de la vie des sortes de rééquilibrations ou d’adaptations relatives des personnalités psychopathiques soit en milieu militaire, soit dans des économies de couples fortement pathologiques mais stables, ou encore dans des formes d’existence marginales et errantes : navigateurs, explorateurs, forains, mercenaires en tous genres, représentants de commerce instables, etc. Quelques psychopathes trouvent une insertion dans certains milieux artistiques, littéraires et cinématographiques, où ils sont bien tolérés en tant que tels.


Les causes du déséquilibre

On ignore l’importance respective des facteurs héréditaires ou acquis dans le déséquilibre. L’hérédité joue un rôle certainement important. Elle est prouvée par les études génétiques sur les familles de déséquilibrés et par l’évolution caractérielle très dissemblable d’enfants élevés dans les mêmes conditions éducatives.

Parmi les facteurs acquis, signalons quelques maladies organiques cérébrales ou endocriniennes (encéphalites, épilepsie, encéphalopathies infantiles, traumatismes crâniens, etc.). Notons aussi des facteurs psychologiques de milieu : carences affectives précoces, abandon moral ou rejet des enfants, divorce, séparation, traumatisme affectif. On a mis l’accent aussi sur la carence d’autorité, la faiblesse excessive des parents et notamment de l’image paternelle. Il est probable que le déséquilibre psychopathique suppose à la fois un terrain particulièrement fragile ou anormal et des conditions de milieu néfastes.


Traitement

Le traitement est très difficile, voué à l’échec dans de nombreux cas. Le grand déséquilibré classique au comportement antisocial répétitif défie les essais thérapeutiques. En revanche, chez les petits déséquilibrés, on peut utiliser certains moments privilégiés (phase dépressive après un échec, une sanction pénale, tentative de suicide, issue d’un accès psychotique, intoxication chronique) pour faire un bilan et tenter un abord psychothérapeutique et chimiothérapique du sujet. Il faut apprécier la demande personnelle d’aide ou de soins. En effet, le déséquilibré n’est pas souvent motivé pour accepter un traitement. Il se dérobe plus ou moins, tôt ou tard, au contact avec le médecin. Néanmoins, une certaine forme de demande peut se centrer autour d’un symptôme qu’on peut utiliser et pour lequel le psychopathe accepte de consulter : insomnie, asthénie, émotivité, imprégnation toxique, phase dépressive. Il est possible alors d’espérer une régularisation au moins partielle du comportement. On utilise des neuroleptiques surtout, plus rarement des antidépresseurs, des sédatifs divers. La psychothérapie psychanalytique est d’un maniement très délicat et d’une efficacité variable en raison de l’inconstance des malades, de leur instabilité. En pratique, les psychothérapies de soutien ou directives sont plus souvent employées.

La prévention par une action médico-sociale serait la méthode la plus efficace : surveillance bien organisée, prolongée grâce à un service social adapté à ce type de malades. Ni l’internement ni la prison ne sont des solutions satisfaisantes. En milieu institutionnel, il est parfois possible de conduire une thérapeutique valable, mais le déséquilibré ne s’y soumet pas volontiers.

Dans certains cas cependant, notamment chez les grands psychopathes dangereux, l’internement est obligatoire (placement d’office ou volontaire).