Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Descartes (René) (suite)

Deux questions s’imposent tout au long des Méditations.
1. À une idée claire et distincte, vraie selon les exigences intrinsèques de la raison, correspond-il quelque chose de réel ?
2. Mes idées claires et distinctes sont-elles des essences ? Ce que j’affirme au nom de ma raison est-il l’expression d’une raison objective et universelle, ou seulement l’expression des nécessités inhérentes à ma nature subjective ?

La libre création des vérités éternelles, conséquence de la thèse de l’incompréhensibilité de Dieu, de l’absolu, nous fait connaître les limites de notre intelligence et nous interdit de rétrécir l’infini aux seules nécessités de notre entendement fini. Dans la lettre au P. Mersenne du 15 avril 1630, Descartes fait remarquer qu’il pense introduire cette thèse dans le petit traité de physique qu’il prépare, indiquant par là que la physique ne vaut que sur un fonds métaphysique, et que seule la métaphysique permettra d’universaliser les méthodes de physique mathématique.

Malgré l’irréductibilité de l’absolu, Descartes ne remet pas en cause la raison elle-même, puisque son système se développe selon la nécessité méthodologique de l’ordre, qui n’est autre qu’une exigence de la raison. La métaphysique cartésienne présuppose l’affirmation de l’autonomie de la raison et revient à fonder cette autonomie.

Cette double exigence entraîne d’abord la nécessité du doute préalable, ensuite l’obligation de ne rien excepter du doute tant que ce dernier n’est pas radicalement impossible ; enfin, elle nous impose de tenir provisoirement pour fausses toutes les choses qui se trouvent frappées du doute.

Ainsi le doute est-il à la fois méthodique, universel et radical, tout en étant, à l’inverse du doute sceptique, provisoire, puisqu’il doit servir à garantir la certitude du savoir humain.

Aux deux objets possibles de notre connaissance des choses extérieures, les essences des choses matérielles, ou idées mathématiques, et l’existence des choses matérielles rapportée par les idées sensibles, correspondent deux sortes de doute : le doute métaphysique et le doute naturel. Ce dernier naît de la nature même des réalités sensibles, de leur composition. Les natures « simples et générales », qui, par définition, échappent à l’arbitraire des combinaisons, sont atteintes par le doute métaphysique né de la fiction volontaire du Malin Génie.

Le doute naturel dépendant de la nature même de l’objet sensible, il faut attendre la méditation VI pour voir affirmer l’existence des choses matérielles. La présence en nous d’idées obscures et confuses n’étant possible que parce qu’elles ne sont pas de purs néants, quelque chose de vrai doit correspondre au peu de réalité qu’elles impliquent. Il ne s’agit cependant pas de confondre (à la manière des scolastiques) les qualités sensibles, simples états de conscience, avec les choses elles-mêmes, ni d’expliquer les choses à partir de la combinaison des qualités sensibles.

Le doute métaphysique laisse intacte la condition qui est constitutive de l’acte même de douter, à savoir l’existence même de ma pensée. Le cogito constitue une exception à la règle du doute universel, en ce qu’il tombe naturellement hors de la sphère régie par la fiction du Malin Génie. Dans le cogito, l’objet posé n’est rien d’autre que le sujet lui-même.

Le cogito est ainsi chargé d’une validité existentielle, puisqu’il se rapporte immédiatement à une existence donnée, et d’une validité intellectuelle en laissant apparaître le rapport nécessaire « pour penser il faut être », qui pose le lien indissoluble entre l’existence et la pensée.

Le cogito apparaît comme la condition suprême de la possibilité des essences mathématiques, en tant que celles-ci sont des idées, et déclenche le processus qui conduit à la preuve a posteriori de l’existence de Dieu.

Si le cogito est une substance, c’est seulement au sens épistémologique, comme nature simple, absolue. Le sens ontologique ne lui sera conféré qu’avec l’intervention de la véracité divine, qui seule peut investir nos idées d’une valeur objective.

Pour sa démonstration, Descartes considère l’idée dans sa fonction représentative, sans recourir à ce qu’elle affirme hors de nous, comme essence ou existence, sous peine d’affronter l’hypothèse du Malin Génie.

En tant que telle, l’idée est un mode de la pensée et possède une réalité psychologique qui n’a besoin d’autre cause que la pensée elle-même.

Mais, pour que l’idée contienne telle réalité objective plutôt que telle autre, il est nécessaire que sa cause possède autant de réalité formelle (au xviie s., formel signifie « réel ») que l’idée intègre de réalité objective. Qu’une idée apparaisse dont je ne puis être la cause et je sais du même coup, de science certaine, que je ne suis pas seul dans le monde. Telle est l’idée d’infini qui s’impose comme la condition de l’idée de finitude. Seule « une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissante, toute-puissante et créatrice de toutes choses et de moi-même » peut être la cause de l’idée d’infini. Dieu est atteint comme cause nécessaire de son idée. Si dans l’ordre des affirmations le cogito précède Dieu, dans l’ordre des conditions a priori de ces affirmations mêmes Dieu est antérieur au cogito. Dès lors, Dieu devient le véritable soutien de la connaissance, en garantissant par son infinie bonté la validité objective des idées claires et distinctes. La preuve par les effets nous révèle que l’idée n’est pas simplement représentative à la manière d’un tableau, mais qu’elle nous permet de saisir une essence ou une « vraie et immuable nature ».

En ce sens, la preuve a priori, ou argument ontologique, qui pose l’existence de Dieu comme nécessaire (Dieu, être parfait, ne peut manquer d’exister puisque dans le cas contraire il se montrerait imparfait) est subordonnée à la preuve par les effets.