Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Démosthène (suite)

L’art au service de l’éloquence

« Il pense, il sent, et la parole suit », écrit Fénelon de Démosthène. Chez lui, le style est subordonné à l’efficacité ; l’éloquence, à ses yeux, n’a jamais été une fin gratuite. Il est sûr que ses discours étaient soigneusement préparés et travaillés, « tel au papier qu’à la bouche », suivant le mot de Montaigne. Et, s’il a subi l’influence littéraire de Thucydide et d’Isocrate, il s’en est suffisamment dégagé pour avoir un tour qui lui soit propre. Ses démonstrations passionnées, tour à tour pathétiques, ironiques, véhémentes, sont écrites par un écrivain attique.

La langue, d’abord, est claire et va du familier au sublime. Les mots les plus usuels prennent une valeur exceptionnelle par leur disposition à l’intérieur de la phrase, courte ou longue, toujours rythmée, et se pressent en images, comparaisons ou hyperboles, dans une prodigieuse variété. Une dialectique très souple vient les appuyer. Démosthène utilise le paradoxe, le dialogue, le raisonnement saisissant, le tout adroitement combiné avec des récits, des tableaux, des portraits, des anecdotes. La composition du discours ajoute à la force de l’idée exposée : après un exorde bref, Démosthène met en relief deux ou trois thèmes essentiels, les reprend constamment jusqu’à une conclusion puissante, souvent dramatique. C’est ainsi que cette éloquence, toute intimement dirigée vers le redressement d’Athènes et la lutte contre la Macédoine, fait de lui un des plus grands orateurs de tous les temps.

L’œuvre de Démosthène

Il reste sous le nom de Démosthène soixante discours, mais beaucoup sont considérés comme apocryphes. Trente-six environ sont authentiques.

• Plaidoyers contre ses tuteurs : trois Contre Aphobos, deux Contre Onétor, le beau-frère d’Aphobos.

• Plaidoyers écrits en qualité de logographe :
a) les plaidoyers civils : une douzaine sur trente et un sont authentiques. Il faut retenir le Pour Phormion (350-349), le Contre Conon (v. 341), le Contre Calliclès (date inconnue) ;
b) les plaidoyers politiques : Contre Androtion (355-354), Contre Timocrate (353-352), Contre Aristocrate (352).

• Harangues et plaidoyers politiques : Contre la loi de Leptine (355-354), Sur les symmories (354), Pour les Mégalopolitains (353-352), Première Philippique (351), Pour la liberté des Rhodiens (351-350), Sur l’organisation financière (350), trois Olynthiennes (349), Contre Midias (347-346), Sur la paix (346), Deuxième Philippique (344-343), Sur l’ambassade (343), Sur les affaires de Chersonèse (341), Troisième Philippique (341), Quatrième Philippique (341 ou 340), Sur la couronne (330).

Un ennemi de Démosthène
Eschine (v. 390-314 av. J.-C.)

Face à Démosthène et incarnant une politique opposée, ce partisan de la paix avec Philippe lutta près de vingt ans contre son adversaire. En 346, lors de la paix dite « de Philocratès », il se porta garant des intentions bienveillantes du roi de Macédoine. Attaqué par Démosthène pour trahison, acquitté (343), délégué par Athènes au conseil des Amphictyons (339), il contribua, par son intervention maladroite ou coupable, à provoquer une nouvelle guerre sacrée, qui aboutit au désastre de Chéronée (338). L’année suivante, il attaqua la proposition de Ctésiphon de donner une couronne d’or à Démosthène : c’est l’origine du fameux procès de la Couronne. Condamné (330), il dut s’exiler.

Les trois discours d’Eschine que nous avons conservés (Contre Timarque, Sur l’ambassade, Contre Ctésiphon) sont l’œuvre d’un écrivain brillant et clair. Sa haine contre Démosthène lui inspire des raisonnements habiles ou des récits malicieux, animés par un véritable souffle d’éloquence.

A. M.-B.


Les orateurs contemporains de Démosthène


Démade

(v. 384 - v. 320 av. J.-C.). L’un des chefs du parti macédonien à Athènes, il n’a rien écrit : il improvisait ses discours et était renommé pour sa verve.


Dinarque

(v. 360 - apr. 292 av. J.-C.). Il débuta comme logographe et composa une centaine de discours, dont trois sont parvenus jusqu’à nous (Contre Démosthène [sur l’affaire d’Harpale], Contre Aristogiton, Contre Philoclès). Il a du talent, mais peu d’originalité véritable.


Hypéride

(v. 390 - 322 av. J.-C.). Il suivit les leçons d’Isocrate, fut d’abord logographe comme Démosthène, puis, à partir de 347, devint son allié contre les partisans de la Macédoine. Leur entente dura jusque vers le milieu du règne d’Alexandre, quand Hypéride conseilla d’écouter les propositions d’Harpale : il fut alors un des accusateurs de Démosthène (324). L’exil de ce dernier le grandit. Mais, après la défaite de Crannon, Hypéride dut s’enfuir à son tour et fut livré au supplice.

Des cinquante-deux discours de cet orateur autant spirituel qu’élégant et vigoureux, il ne nous reste que des morceaux importants : la plus grande partie de l’Oraison funèbre (323) des soldats tombés devant Lamia, les plaidoyers Pour Lycophron, Pour Euxénippe, le Contre Athénogène, de longs fragments du Contre Démosthène (à propos de l’affaire d’Harpale).


Lycurgue

(v. 396 - 323 av. J.-C.). Autre allié de Démosthène dans la lutte contre Philippe, il eut de 338 à 326 la direction des finances et des travaux publics d’Athènes, et il se signala par sa probité et ses dons d’administrateur. Un seul de ses discours, le Contre Léocrate, nous est parvenu. D’une rigueur implacable et d’une éloquence grave, Lycurgue est, suivant le jugement de Denys d’Halicarnasse, « sans rien de spirituel ni d’agréable, mais impérieux, capable d’enseigner surtout à grandir les sujets qu’on traite ».


Phocion

(v. 402 - 318 av. J.-C.). Il était favorable à l’entente avec la Macédoine. Démosthène disait de lui : « Voici la hache de mes discours. »

➙ Athènes / Grèce.

 M. Croiset, Des idées morales dans l’éloquence politique de Démosthène (Thorin, 1874). / A. Schaefer, Demosthenes und seine Zeit (Leipzig, 1885-1887 ; 3 vol. ; 2e éd., 1893-1898). / H. Ouvré, Démosthène (Lecène et Oudin, 1890). / A. Bougot, Rivalité d’Eschine et de Démosthène (Bouillon, 1891). / E. Drerup, Demosthenes im Urteile des Altertums (Würzburg, 1923). / G. Clemenceau, Démosthène (Plon, 1926). / C. D. Adams, Demosthenes and his Influence (Londres, 1927). / A. Puech, les Philippiques de Démosthène (Mellotée, 1929). / P. Treves, Demostene e la libertà greca (Bari, 1933). / P. Cloché, la Politique étrangère d’Athènes de 404 à 338 avant J.-C. (Alcan, 1934) ; Démosthène et la fin de la démocratie athénienne (Payot, 1937 ; 2e éd., 1957). / A. Momigliano, Filipo il Macedone (Florence, 1934). / W. Jaeger, Demosthenes, the Origins and Growth of his Policy (Berkeley, 1938 ; nouv. éd., New York, 1963 ; en allem., Berlin, 1939 ; 2e éd., 1963). / G. Mathieu, Démosthène, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1948). / G. Ronnet, Étude sur le style de Démosthène dans les discours politiques (De Boccard, 1952). / J. Luccioni, Démosthène et le panhellénisme (P. U. F., 1961).