Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

délire

Ensemble d’idées fausses en opposition manifeste avec la réalité ou choquant l’évidence et entraînant néanmoins la conviction d’un individu.


Chaque fois qu’une idée déréelle se maintient et se développe dans la pensée d’un sujet sans critique de la part de celui-ci et à l’encontre de tout bon sens, on est en droit de parler d’idée délirante. Le délire se présente donc comme un trouble de la pensée ou comme une simple erreur de jugement. En réalité, il traduit une altération de toute la personnalité, notamment dans le domaine affectif. Il ne s’agit pas seulement d’un trouble intellectuel, ou il n’en est ainsi qu’en apparence, et il est difficile de dire si le trouble affectif précède le trouble intellectuel ou si c’est l’inverse. On peut voir dans le délire une solution pathologique que le malade tente d’apporter à son angoisse intérieure, à son insatisfaction profonde et à ses conflits au contact de l’existence quotidienne. À ce titre, le délire est une forme d’aliénation mentale. Le terme d’aliénation suppose que le délirant est devenu un étranger parmi les hommes, étranger par ses croyances et son comportement. En fait, la distance qui existe entre l’homme normal et l’homme délirant n’est pas aussi grande qu’on pourrait le croire. Entre l’état psychiatrique le plus grave et ce qu’il est convenu d’appeler la bonne santé mentale, tous les intermédiaires peuvent se voir. Le grand essor des thérapeutiques psychiatriques a permis de guérir ou de stabiliser de nombreux délirants et de les rendre à une vie socioprofessionnelle satisfaisante. Les mouvements psychothérapiques modernes ont conduit les médecins à une compréhension plus profonde des mécanismes intimes du délire et des troubles de la personnalité du malade. Les progrès dans la compréhension du délirant font qu’on ne peut plus considérer ce dernier comme un aliéné au sens fort, c’est-à-dire un étranger ou un taré, mais bien comme un homme à part entière, semblable à tout autre atteint de troubles physiques. La présence d’un délire ou d’idées délirantes au cours d’une affection psychiatrique permet d’affirmer la nature psychotique de celle-ci. Dans les psychoses*, en effet, il existe souvent un délire, alors que, dans les névroses*, il n’y en a pas.


Les idées délirantes ou les thèmes délirants

Les idées délirantes sont de nature infiniment variée, mais on peut les regrouper en plusieurs grands thèmes.

Les idées de persécution sont de loin les plus fréquentes. Le malade a la conviction que l’on essaie de nuire à sa personne physique (idées d’empoisonnement, d’agression corporelle par des rayons ou d’autres moyens fantastiques, idées de sévices sexuels à distance, etc.), à sa personne morale (calomnies, moqueries, sous-entendus, allusions, téléguidage de la pensée dans un dessein malfaisant, etc.), et à ses biens (on veut le ruiner par des moyens divers ou le déposséder d’un appartement). De telles idées de persécution reposent sur des mécanismes divers : interprétations fausses de faits exacts, illusions, hallucinations (on me suit, on me fait surveiller, on m’espionne, on ricane ou on dit des injures sur mon passage, etc.).

Les idées de grandeur, ou thèmes mégalomaniaques, sont moins fréquentes. Les malades se croient appelés aux plus hautes destinées. Ils sont de grands personnages ou ils ont une mission à accomplir. Les uns allèguent des filiations illustres, les autres, fanatiques, inventeurs, apôtres ou réformateurs, orientent toute leur existence « sur la seule vérité à faire triompher ».

Les idées d’influence sont très répandues. Les malades ont le sentiment d’être soumis à une force étrangère extérieure à eux-mêmes. Leur corps et leur esprit sont télécommandés, téléguidés ; on leur impose à distance par des procédés complexes et inconnus des idées, des désirs, des sentiments ; on les force à faire des gestes ou des actions, on se livre sur eux à des expériences scientifiques ou diaboliques. On devine leur pensée, on la divulgue, on la commente.

Les idées mystiques peuvent se grouper en un délire prophétique organisé (chez certains « témoins » de sectes religieuses). Ailleurs, elles sont plus floues, mal structurées. Elles se fondent souvent sur des intuitions délirantes, des hallucinations vives : auditives (voix divines), visuelles (apparitions), olfactives (parfums célestes ou odeurs nauséabondes), avec des thèmes centrés sur des révélations inouïes ou des tentations démoniaques.

Les idées hypocondriaques comprennent des idées de transformation corporelle, des convictions bizarres et erronées sur le fonctionnement des organes, leur structure, leur forme, leur présence ou leur absence même, des croyances en une maladie incurable malgré toutes les preuves de bon sens témoignées par l’entourage ou les médecins. Certains hypocondriaques délirants peuvent avoir des idées de préjudice après un accident ou une intervention chirurgicale. Ils deviennent alors des persécutés et peuvent être dangereux par leurs réactions agressives. Certains malades se sentent possédés ou rongés par des animaux divers (parasites, vers, insectes, reptiles ou mammifères).

Les idées mélancoliques entrent dans le cadre de la dépression mélancolique. Ce sont des convictions douloureuses qui ont pour thèmes la culpabilité, la déchéance morale, l’indignité. Les malades s’accusent d’être des monstres, des criminels, des malfaisants ou des damnés. Ils se reprochent des fautes imaginaires, pensent qu’ils font du tort à leur famille et à leurs proches et qu’ils méritent un châtiment exemplaire. Ce type de délire conduit facilement le patient au suicide.

La genèse des délires

Elle est encore pratiquement inconnue. Les perspectives psychanalytiques permettent de comprendre certains mécanismes psychologiques inconscients. Les racines du délire plongent dans un désordre profond de l’affectivité, de l’humeur ou du caractère de l’individu. Les délirants n’ont pas les mêmes mécanismes de défense contre l’angoisse que les névrosés. Ils apparaissent comme des personnalités excessivement fragiles, absolument désarmées devant l’angoisse qui résulte des conflits inconscients. Leur relation avec le monde et avec autrui s’en trouve profondément perturbée. Le délire représente une sorte de solution pathologique à des conflits internes dont la personne du malade ne peut faire les frais. Mais il est probable que d’autres facteurs jouent un rôle important : le terrain neurosomatique, les éléments génétiques, des désordres biologiques encore inconnus et des facteurs sociologiques.