Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Delacroix (Eugène) (suite)

On retrouve les hautes futaies qu’il aime dans ses grands travaux décoratifs, car, bien que son art passionné ait toujours inquiété les jurys et l’Institut, auquel il n’appartiendra qu’en 1857, à sa huitième candidature, il eut cependant de nombreuses commandes officielles, probablement grâce à la présence au pouvoir de Thiers, qui l’avait soutenu dès ses débuts. Il emploiera dans ses travaux quelques élèves et amis, comme Pierre Andrieu (1821-1891) et Louis de Planet (1814-1875).

Après les allégories sculpturales du salon du roi, il entreprend le décor de la bibliothèque du Palais-Bourbon (1838-1847). Les sujets des coupoles illustrent les conquêtes de l’esprit : la poésie, la théologie, la législation, la philosophie, les sciences ; ceux des hémicycles montrent les grandes alternances de l’humanité : la paix et la guerre. Au statisme de l’hémicycle d’Orphée s’oppose le dynamisme de celui d’Attila. À la bibliothèque du Sénat, de 1840 à 1846, il groupe autour d’Orphée les Grecs et les Romains illustres en un rythme apaisé, dominé par un ordre classique qu’il appliquera aussi aux compositions du salon de la Paix (1851-1853) à l’Hôtel de Ville, incendié lors de la Commune. Chargé de compléter l’œuvre de Le Brun dans la galerie d’Apollon au Louvre (1850-51), il déploie une fougue baroque pour ce combat d’Apollon et des monstres de la nuit qui lui permet d’utiliser tous les sortilèges de la couleur.

Il se surpasse à la chapelle des Saints-Anges de l’église Saint-Sulpice (1850-1861) dans le symbolisme de l’homme face à des forces invisibles. Sur un panneau, dans une harmonie d’orange et de turquoise, les archanges vengeurs se meuvent avec une foudroyante agilité, au milieu d’une architecture colossale, pour chasser Héliodore du temple. Sur l’autre muraille, les accords sont de pourpre, de vert, de violet, et, dans un défilé rocheux que domine l’ampleur surnaturelle de trois chênes, Jacob lutte avec l’ange de toute sa force inutile.

S’il renoue dans ses grandes décorations avec la tradition de Poussin et de Véronèse, Delacroix retrouve toute sa fougue et sa palette la plus éclatante pour les grandes scènes de chasses au lion (1855, Bordeaux, et 1861, Chicago) ou au tigre (1854, Louvre). Il fait alors appel à ses souvenirs africains, complétés par de longues séances d’étude au jardin des Plantes en compagnie du sculpteur Barye*. Il a d’ailleurs toujours interprété les animaux de façon étourdissante, allant jusqu’à mettre en accord l’aspect des chevaux, pour lesquels il a la même prédilection que Géricault, avec l’esprit même du sujet : le cheval de Trajan est compatissant, celui de Méphisto, diabolique, celui d’Attila, surnaturel.

Ses études de fauves sont parmi les plus éblouissantes des ébauches qu’il confie à ses carnets de dessins, carnets où se fixent pendant près d’un demi-siècle ses projets et ses souvenirs, aquarelles, lavis ou crayons qui, chaque fois, surprennent par leur rapidité cursive et leur puissance d’évocation.

Toujours davantage replié sur lui-même, il jette dans la peinture les forces que lui laisse une laryngite tuberculeuse contractée vers 1835. Les compositions de la fin de sa vie sont souvent en diagonale, comme la Montée au calvaire (Salon de 1859, musée de Metz) ; certaines reprennent le thème favori de la femme victime et suppliante : Desdémone aux pieds de son père (1852, musée de Reims), inspirée non par Shakespeare mais par l’opéra de Rossini, l’Enlèvement de Rébecca (1858, Louvre), tableau après lequel il n’expose plus au Salon tant les critiques sont virulentes — sauf celle de Baudelaire, son génial défenseur. Le ton philosophique perceptible dans les grandes décorations est aussi manifeste dans un souci de représenter l’impuissance de l’homme face aux éléments. En 1840, Delacroix s’est inspiré du Don Juan de Byron pour son Naufrage de don Juan (Louvre), isolé entre ciel et terre. À partir de 1853, il représente sept fois Jésus sur le lac de Génésareth, opposant au déchaînement des flots, qu’il aime tant observer à Valmont ou à Dieppe, et à l’affolement des disciples le sommeil apaisé du Sauveur. L’ambiance est plus élégiaque, la composition plus passante, les couleurs plus subtiles dans les dernières œuvres comme Ovide chez les Scythes (1862, coll. particulière, Suisse), sujet déjà traité au Palais-Bourbon. Ses forces déclinent, mais son imagination garde sa souveraineté ; peu avant sa mort, il confie à sa vieille servante, témoin de tant d’efforts, d’enthousiasmes, de désenchantements : « Si je guéris, je ferai des choses étonnantes. »

Bientôt, l’impressionnisme* exploitera toutes les libertés en germe dans l’œuvre du maître, et Cézanne pourra dire à propos des Femmes d’Alger : « Nous y sommes tous, dans ce Delacroix... »

S. M.

➙ Romantisme.

 A. Robaut, l’Œuvre complet d’Eugène Delacroix (Charavay, 1885). / R. Escholier, Delacroix, peintre, graveur, écrivain (Floury, 1926-1929 ; 3 vol.) ; Eugène Delacroix (Éd. Cercle d’art, 1963). / M. Serullaz, Eugène Delacroix, album de croquis (Quatre-Chemins-Editard, 1961) ; Peintures murales de Delacroix (Éd. du Temps, 1963) ; Mémorial de l’exposition Eugène Delacroix (Éd. des Musées nationaux, 1964). / M. Gauthier, Delacroix (Larousse, 1963). / P. Jullian, Delacroix (A. Michel, 1963). / Delacroix (Hachette, 1963). / R. Huyghe, Delacroix ou le Combat solitaire (Hachette, 1964). / G. Dumur, Delacroix, romantique français (Mercure de France, 1973). / A. Moss, Baudelaire et Delacroix (Nizet, 1974).

Delalande (Michel Richard)

Compositeur français (Paris 1657 - Versailles 1726).


Si le xviie s. français a été dominé par les deux grandes figures de Lully et Marc Antoine Charpentier, les trente dernières années du règne de Louis XIV, qui marquent l’aboutissement de tout un mouvement préclassique et le point de départ d’une école dite « versaillaise », ont pour chef ce fils d’un tailleur parisien né sur la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois et dont le destin a voulu qu’il servît de transition, par-delà la Régence, entre l’austère musique religieuse imposée par Louis XIV à la fin de son existence et l’aimable musique de divertissement qui caractérise l’époque de la duchesse du Maine, de Louis XV et de Watteau. Au côté de Delalande, sans faire figure de musiciens mineurs, François Couperin, Marin Marais et André Campra demeurent des maîtres qui ont confirmé l’excellence d’une école parvenue à son apogée.