Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

décoratifs (arts) (suite)

Pourtant, dès 1895, le critique allemand Julius Lessing émettait des propos qui, eux, contenaient une idée féconde : « Les machines, écrivait-il, ont modifié complètement la situation de l’art industriel ; cependant, nous n’avons pu nous décider à accepter cette modification. » Revenant de l’Exposition de Chicago, il tirait la conclusion des découvertes qu’il y avait faites : « Nous avons vu des meubles établis et fabriqués dans le même esprit que nos constructions en fer, navires et voitures, essentiellement pratiques et possédant ce genre de beauté spéciale à tout objet qui répond bien à sa destination. » À la même époque, le rédacteur de la Revue des arts décoratifs, G. M. Jacques, rappelait à cette rationalité fondamentale les artistes égarés par la virtuosité ; il rejetait une vaine érudition s’obstinant à « recommencer Assurbanipal et Louis XIV » et s’écriait « La science crée chaque jour mille beautés grandioses qui frappent l’esprit de l’homme plus fortement que le labeur patient de l’ouvrier ne peut le faire. Les ouvrages superbes de l’ingénieur habituent nos yeux et notre esprit à se satisfaire des grandes lignes synthétiques en tout ce qui n’est pas le produit de l’imagination. »

C’est la doctrine fonctionnaliste qu’annonçait ainsi le critique. À l’Exposition des arts décoratifs de 1925, rivalisant d’intérêt avec les maîtres issus des traditions, Émile Jacques Ruhlmann (1869-1933), Paul Huillard (né en 1875), Paul Follot (1877-1941), Maurice Dufrène (1876-1955), Louis Suë (1875-1968) et André Mare (1885-1932), apparurent les formules inédites, strictement utilitaires, de Pierre Chareau (1883-1950), de Francis Jourdain (1876-1958), de Le Corbusier*. En Allemagne se constituait le groupe fonctionnaliste du Bauhaus*, inspiré par Walter Gropius*. En Autriche, l’architecte Adolf Loos (1870-1933) proclamait son axiome fameux, « ornement = crime », auquel répliquait à Paris celui du décorateur et paysagiste André Vera : « Orner, c’est finir. » Les formes utiles excluent-elles par définition l’attrait ? En Angleterre, le groupe de l’Industrial Design s’attache à concilier les deux impératifs. Aux États-Unis, Raymond Loewy (né en 1893) a fini par imposer une conception de même ordre, qui s’introduit en France. Une Association internationale d’esthétique industrielle, fondée en 1930 par Jacques Vienot et qui a tenu son premier congrès en 1951, enveloppe de plans nus la structure ou le mécanisme des objets de toute nature qu’elle projette. L’idée maîtresse paraît avoir été résumée par un des coryphées des « modernistes », le décorateur et relieur Pierre Legrain (1889-1929), en ces termes saisissants : « Pour mon compte, un écrou six pans de parfait usinage vaut bien une guirlande, et parle mieux à mon cœur le langage du jour. »

G. J.

➙ Art nouveau / Bauhaus / Décoration intérieure / Design / Empire (style) / Empire (style second).

 L. de Laborde, Exposition universelle de 1851. Travaux de la commission sur l’industrie des nations (Impr. impériale, 1856). / A. Picard (sous la dir. de), Exposition universelle de 1889 à Paris, rapport du jury international (Impr. nationale, 1891-92 ; 19 vol.). / G. Janneau, l’Art décoratif moderne, formes nouvelles et programmes nouveaux (Bernheim jeune, 1925). / L. Moussinac, le Meuble français moderne (Hachette, 1925). / P. Léon, Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris, 1925, t. I, préface (Larousse, 1934). / N. Pevsner, Pioneers of the Modern Movement (Londres, 1936 ; nouv. éd. Pioneers of the Modern Design, from William Morris to Walter Gropius, Londres, 1949 ; trad. fr. les Sources de l’architecture moderne et du design, Éd. de la Connaissance, Bruxelles, 1970).

décoration

Distinction honorifique attribuée par un souverain ou un État pour récompenser certains mérites acquis à titre civil ou militaire.


« C’est une bonne et profitable coutume, écrit Montaigne, de trouver moyen de reconnaître la valeur des hommes rares et excellents et de les contenter et satisfaire par des paiements qui ne chargent aucunement le public et ne coûtent rien au prince. » Cette coutume remonte à l’Antiquité, tant il est vrai que les pouvoirs publics, quelles que soient leur forme ou leur origine, ont toujours cherché à promouvoir le service du bien commun indispensable à la vie des sociétés. La Grèce décernait des couronnes, Rome offrait des phalères, des colliers et surtout des armes d’honneur. Dès l’origine, en effet, apparaît l’habitude d’attacher à l’attribution d’une récompense le port d’une marque extérieure permettant de signaler à tous la qualité de l’hommage rendu. Une sorte d’inversion des valeurs fera ensuite que ces signes extérieurs deviendront l’élément essentiel de la récompense.

Le Moyen Âge verra la naissance des ordres de chevalerie, que leur double vocation, religieuse et militaire, distingue totalement des décorations. Alors que la notion d’ordre est liée à celle d’une mission qui engage pour le présent et l’avenir, celle de décoration n’est que la constatation de services ou de mérites rendus ou acquis dans le passé sans entraîner d’obligation particulière pour l’avenir. Les deux notions toutefois tendirent progressivement à se rapprocher. En effet, la mission qui, notamment au temps des croisades, avait présidé à la naissance des ordres de chevalerie, perdit sa valeur sinon sa raison d’être ; d’autre part, le souverain, pour récompenser les mérites de tel ou tel de ses sujets, décida de l’admettre à titre honorifique dans ses ordres de chevalerie ou bien dans une catégorie nouvelle dite « ordre de mérite », qui, tel l’ordre royal et militaire de Saint-Louis créé par Louis XIV en 1693, est très proche d’une simple décoration.