Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

débilité mentale

Insuffisance congénitale ou acquise de l’intelligence, dont la délimitation s’opère selon des critères plus ou moins directement sociaux.


Prise dans un sens large, l’expression débilité mentale (introduite dans la nomenclature par Dupré en 1909), se confond avec celle d’« arriération* mentale », d’« insuffisance mentale », d’oligophrénie, etc.

Dans un sens plus restreint, le terme débilité se réfère à un degré moindre d’insuffisance que celui d’arriération. C’est ainsi que, dans la circulaire du 21 octobre 1963, la Direction générale de la population recommande la classification suivante, d’après la valeur du quotient intellectuel (QI) :
— débiles légers : QI entre 0,80 et 0,65 ;
— débiles moyens : QI entre 0,65 et 0,50 ;
— débiles profonds : QI entre 0,50 et 0,30 ;
— arriérés profonds : QI inférieur à 0,30.

Le flottement dans la terminologie, la variation des classifications proposées ne sont que le reflet de l’indétermination de la notion d’un point de vue scientifique en même temps qu’ils expriment notre malaise à tracer des frontières par rapport à la « normalité ».

Toute définition de la débilité se réfère aux normes et exigences de la société dans laquelle elle vient s’inscrire. Les critères varient donc d’une société à l’autre, d’un moment de l’histoire à un autre, d’un groupe d’âge à un autre, etc.


Historique

L’histoire de la débilité s’est trouvée longtemps confondue avec celle de la folie*.

Jusqu’à la fin du Moyen Âge, fous et arriérés occupent une place dans la société : leurs actions et paroles sont magiquement exploitées en tant qu’ils apparaissent comme « porte-parole de la vérité » (cf. les « fêtes des sots », le « bouffon de cour », l’« idiot du village »). La société se confronte dans le même temps et sur la place publique à la charge d’angoisse que cela peut représenter.

C’est seulement au xviie s. que des mesures pénitentiaires et charitables les isolent de la communauté, dans des institutions où se retrouvent criminels, vieillards, « possédés du diable », indigents, chômeurs... Par ces mesures, « on a renoué, comme le dit M. Foucault, avec les vieux rites de l’excommunication, mais dans le monde de la production et du commerce. C’est dans ces lieux de l’oisiveté maudite et condamnée, dans cet espace inventé par une société qui déchiffrait dans la loi du travail une transcendance éthique, que la folie va apparaître et monter bientôt au point de les annexer. »

L’introduction du médecin à l’asile — qu’inaugure Philippe Pinel (1745-1826) — opère un nouveau tri, libère le fou de ses chaînes en même temps qu’elle entraîne une autre forme d’aliénation par la désignation de la folie comme maladie mentale.

De ce découpage historique vont émerger progressivement les diverses figures allant de l’idiotie à la débilité ; objets d’un savoir médical, psychiatrique, pédagogique et psychologique dont le cloisonnement, déjà présent dans l’expérience exemplaire de Jean Marc Gaspard Itard (1775-1838), ira s’accentuant.

Jean Étienne Dominique Esquirol (1772-1840) isole l’idiotie de la démence (1818), en distingue selon le niveau de communication deux espèces : l’imbécillité et l’idiotie (deux degrés à l’intérieur de « l’état de dégradation »).

Ces descriptions sont qualitatives, mais l’ordination en degrés qui les sous-tend prépare l’approche quantitative de la psychologie du xxe s.

L’industrialisation croissante et la spécialisation professionnelle réclament du milieu scolaire une réponse à leurs exigences en termes de rendement ; Alfred Binet* (1857-1911), délégué pour résoudre la question que posent les enfants inaptes à s’intégrer en milieu scolaire, élabore un instrument de mesure de l’intelligence : tous ceux qui seront classés en deçà de la norme prévue vont constituer la catégorie des enfants relevant d’une pédagogie spécialisée (classes de perfectionnement, I. M. P. [internat médico-pédagogique], etc.). Ce secteur de l’enfance inadaptée donne lieu à un déploiement de recherches dans le domaine psychologique (théorie du développement mental, psychométrie), médical (recherches génétiques, anatomo-pathologiques, endocrinologie), psychiatrie (diagnostic différentiel : psychose-arriération, démence, arriération...) et pédagogique (méthode des centres d’intérêts, éducation sensorielle, rééducations spécifiques, réadaptation sociale et professionnelle...), qui se développent dans le sens d’une ségrégation de plus en plus marquée.

C’est à la psychanalyse, et en particulier aux travaux de Maud Mannoni, que l’on doit une remise en question du sens de cette ségrégation et de la notion même de débilité.


L’apport de la psychanalyse*

En privilégiant le discours du patient et la relation du patient au psychanalyste, Freud rompait avec toute tradition objectivante et classificatoire et avec toute approche du patient en termes de facultés isolées.

Quand Freud aborde la question de l’intelligence, c’est pour en souligner sa dépendance à la pulsion (pulsion épistémophilique) ou pour montrer les avatars de cette dépendance en tant qu’ils s’expriment de façon névrotique (stupidité névrotique, inhibition intellectuelle liée à une structure obsessionnelle ou hystérique). C’est en construisant sa théorie de la sexualité infantile que Freud a inscrit l’impossibilité de faire de l’intelligence une fonction mentale séparée dont le développement se ferait de manière autonome par accumulation d’acquisitions ou par franchissement de stades définis. Les travaux cliniques de Melanie Klein concernant les enfants névrosés prouvent la justesse des hypothèses théoriques de Freud.

C’est vers 1950 seulement que la débilité est introduite dans le champ de l’investigation psychanalytique avec le passeport d’ailleurs ambigu de cette question : celle de la « vraie » et de la « fausse débilité », alternative vivement entretenue par le développement en psychologie des tests et la préoccupation médicale du diagnostic.