Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

David (Louis) (suite)

« La difficulté est de faire beau et nature », disait David, résumant avec une exacte intuition le sens d’une quête qui cherchait dans l’Antiquité moins un modèle qu’une confirmation. Et Delacroix*, dans son Journal, a su reconnaître le génie du peintre : « David est un composé singulier de réalisme et d’idéal [...]. Il fut le père de toute l’école moderne en peinture et en sculpture... »

B. F.

 R. Cantinelli, Jacques-Louis David (G. Van Oest, 1931). / L. Hautecœur, Louis David (la Table ronde, 1954). / R. Verbraeken, Jacques-Louis David, jugé par son époque et par la postérité (Laget, 1973).

Davis (Miles)

Trompettiste américain (Alton, Illinois, 1926).


Miles Dewey Davis a réalisé une singulière gageure : sans rien sacrifier de son style, il a traversé les péripéties du jazz post-parkérien, intégrant à son discours innovations et modes tout en restant un parfait exemple de continuité. Du be-bop au free jazz et à la musique pop, en passant par le jazz cool, sa démarche, obstinée et égocentrique, correspond à une remise en question systématique des modes et des mondes musicaux avec lesquels il a été confronté.


La révolution par le charme

Élevé à Saint Louis dans un milieu bourgeois (son père était dentiste), Miles, dès l’âge de seize ans, fait partie d’un orchestre local, les Blue Devils. À l’occasion d’une tournée de la formation de Billy Eckstine, il fait la connaissance du trompettiste Dizzy Gillespie et du saxophoniste Charlie Parker, les « inventeurs » du be-bop. Séduit par les audaces harmoniques et la vélocité des boppers et, en même temps, attiré par la décontraction d’un saxophoniste comme Lester Young, Davis n’a pas encore les moyens techniques nécessaires pour résoudre une telle contradiction. Ce qui ne l’empêche pas de rejoindre Charlie Parker à New York, en 1945, et d’enregistrer avec lui. Si son admiration pour un virtuose comme Gillespie est encore évidente, divers éléments apparaissent qui deviendront les constantes de son style : parti pris de douceur, économie de notes, phrasé legato parfois coupé de « crises » brèves dans le registre aigu, sonorité voilée et, surtout, refus de tout effet ou ornement. Déjà, il s’impose et séduit par l’allure insidieuse de son jeu, et plus encore par une utilisation des silences, des phrases non résolues, des notes qui semblent rester comme en suspens. Il parvient ainsi d’emblée à créer un climat sonore au charme parfaitement inédit et opte délibérément pour un jazz essentiellement suggestif. À l’effervescence gillespienne, Miles Davis va substituer, dans les limites d’un univers restreint et centripète, tout un jeu d’équilibres fragiles. Musique qu’on a dite « triste », voire « morbide », et qui correspond plutôt à une méditation sur les modes qu’elle ne manque pas de susciter. Dès la fin des années 40, alors même que les innovations des boppers commençaient de s’organiser en un nouvel académisme, Davis se choisissait une situation marginale.


Du bop de chambre aux concertos

Reconnu comme un des leurs par les pionniers du bop, le jeune trompettiste (il a vingt-trois ans) découvre presque à la même époque les arrangements écrits par Gil Evans pour le grand orchestre de Claude Thornhill. De cette rencontre naîtra un orchestre de dix musiciens, avec Miles Davis pour chef. Après avoir joué, sans grand succès, au Royal Roost en septembre 1948, ils enregistrent pour la firme Capitol, en 1949 et 1950, douze morceaux qui symbolisent le jazz cool — littéralement : « frais », mais aussi, dans l’argot négro-américain et des jazzmen : « détendu », « calme ». En réaction à la nervosité, à l’exaspération du bop, cet orchestre (qui comprend Gerry Mulligan, Lee Konitz, Gunther Schuller, John Lewis — futur leader du Modern Jazz Quartet —, Max Roach ou Kenny Clarke, et des instruments aussi inhabituels dans le jazz de l’époque que le tuba et le cor d’harmonie) utilise des sonorités étouffées, feutrées, des rythmes relativement simples (par rapport à certain parti pris de complexité du bop) en même temps que les raffinements prémédités des polyphonies européennes. Il s’agit là d’une musique « raisonnable » où composition et arrangement retrouvent un rôle essentiel — une manière de « bop de chambre » : toute panique (en des tempos rarement rapides, tous les musiciens adoptent une allure méditative, renonçant à la prolixité des improvisations bop) a disparu. Cette tentative isolée de résoudre l’antinomie traditionnelle improvisation-écriture sera prolongée par de jeunes musiciens blancs travaillant en Californie, tandis que Davis se consacre à partir de 1950 à l’improvisation en petite formation. À son style, il adapte la formule orchestrale la plus traditionnelle du bop : trompette, saxophone et trio rythmique. Au cours de la première moitié des années 50, il enregistre de nouveau avec Charlie Parker, avec le trombone J. J. Johnson, avec les pianistes John Lewis et Horace Silver, avec le saxophoniste Sonny Rollins, et surtout à la tête d’un quintette comprenant Thelonious Monk (piano), Milt Jackson (vibraphone), Percy Heath (basse) et Kenny Clarke (batterie). En dépit (ou à cause) de son hostilité au jeu discontinu et aux complexités harmoniques du pianiste, il réalise là les chefs-d’œuvre de sa carrière, en même temps qu’un ordre nouveau, passionnant et passionné, indique qu’il atteint sa maturité. Miles Davis forme alors un quintette avec John Coltrane (saxophone), Red Garland (piano), Paul Chambers (basse) et Philly Joe Jones (batterie). À la même époque (en 1957), il retrouve Gil Evans, qui écrit à son intention des sortes de concertos pour bugle et grand orchestre. Quelques mois plus tard, le metteur en scène français Louis Malle fait appel à lui pour la musique du film Ascenseur pour l’échafaud. Le trompettiste devient une véritable vedette. Son quintette se transforme ensuite en sextette (avec le saxophoniste Cannonball Adderley) ; Bill Evans, Wynton Kelly, Vic Feldman succèdent à Garland ; Hank Mobley, Wayne Shorter, George Coleman remplacent successivement John Coltrane...