Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dalí (Salvador)

Peintre et graveur espagnol (Figueras 1904).


Le « génial » Salvador Dalí, dès qu’il eut vu le jour, s’appliqua à se faire dorloter et à tirer au mieux parti d’une situation beaucoup plus épineuse que la précédente. C’est du moins la version que Dalí vieillissant donne de ses premières années. Enfant gâté tenant beaucoup à une réputation d’enfant prodige fondée sur les premières toiles qu’il avait précipitamment beurrées dès neuf ans, il fut un élève rêveur et indiscipliné jusqu’à l’École des beaux-arts de Madrid, qu’il fréquenta. Là, l’impressionnisme, qui avait jusque-là influencé ses essais picturaux, faisait figure d’académisme. Dalí reporta tout son intérêt sur le cubisme, dont son compatriote Picasso avait été le principal initiateur. L’évolution du cubisme d’une part, celle de Picasso d’autre part trouvèrent écho dans des œuvres qui démontrent les facultés d’assimilation du jeune peintre et sa docilité attentive devant les courants contemporains. C’est encore à Madrid que Dalí fait la connaissance de García Lorca* et de Buñuel*, au cours d’une période de grande effervescence intellectuelle : De Chirico* et la « peinture métaphysique », Magritte*, Miró* décident dès cette époque de sa vocation, qui s’affirme par un style plus personnel dès 1927, caractérisé depuis lors par une exécution extrêmement minutieuse mise au service de représentations délirantes.

L’entrée de Dalí dans le surréalisme* en 1929, peu après son premier voyage à Paris (1928), est moins celle d’un peintre que de l’auteur, avec Buñuel, d’Un chien andalou. À peine moins déterminante sera la part de Dalí dans la réalisation de l’Âge d’or (1930), qui, après l’intervention de commandos d’extrême droite, fut longtemps interdit à l’écran. La carrière cinématographique de Dalí s’achève en 1932 avec la publication d’un scénario, Babaouo, situé « en 1934 dans n’importe quel pays d’Europe pendant la guerre civile ».

Dalí, dans le surréalisme, fut le pourvoyeur d’un feu d’artifice ininterrompu. « Une idée par minute », disait-il. Il avait réponse à tout, provocante, légère ou burlesque. Spécialiste de l’énormité glacée, il restait imperturbable et comme environné de la gloire qui s’attache aux prophètes, au milieu de l’hilarité déchaînée par ses incongruités ou ses obscénités. Entrant déjà dans le rôle de grand sérieux qu’il n’a plus cessé de jouer, aux frontières communes du dandysme et de la clownerie, il endossa la défroque du « génie », armure en même temps que manteau d’Arlequin, et entreprit son propre panégyrique sur un ton glorieux et outrancier qui atteint à la dérision théâtrale.

Ce comportement ambigu est l’application quotidienne d’une esthétique où les signes passent pour essentiellement équivoques et polyvalents, et qui s’enrichit, durant la période surréaliste, des principales trouvailles daliniennes. La méthode paranoïaque-critique est une généralisation de la méthode du vieux mur proposée par Léonard de Vinci. Définie comme « libre interprétation des associations délirantes », elle est responsable de formes interprétables en plusieurs sens, ainsi que de jeux de mots (Lénine = l’énigme) transposés sur toile.

La « figuration en trompe l’œil des images de rêve », autre recette dalinienne, reste plus suspecte, ne livrant que des produits dont l’origine reste invérifiable, seraient-ils revêtus d’une effroyable splendeur.

La désinvolture avec laquelle Dalí traite les événements politiques des années 30, la place qu’il fait à Hitler dans sa mythologie personnelle provoquent en 1934 la rupture de ses relations avec les surréalistes. L’invention picturale se confine désormais le plus souvent dans l’exploitation des gîtes antérieurement reconnus. Dalí, durant la Seconde Guerre mondiale, séjourne aux États-Unis. Son sens du gag y fait merveille, l’assurant d’une célébrité confortable. Désigné désormais sous le sobriquet d’« Avida Dollars » (anagramme formé par André Breton), il est contraint de se proclamer lui-même le peintre le plus riche du monde.

Dalí confirme dès lors, dans un christianisme doré sur plâtre, son appartenance à l’Espagne baroque, dont il avait jadis célébré les aboutissements en faisant l’éloge de Gaudí et de l’Art nouveau. L’académisme de son métier va croissant, au détriment de ce que la méthode paranoïaque critique pourrait encore lui inspirer de trouvailles. Mais le tarissement de la verve dans l’ordre spéculatif ou plastique est balancé par une frénésie accrue dans l’autocélébration. Réalisation symbolique au sens psychiatrique du terme, formulation du désir en même temps que de la frustration, cet art de bateleur est l’expression gestuelle de la très consciente et constante volonté magique qui s’était jadis employée sans doute plus efficacement et sans se compromettre sur la toile.

Quelques peintures importantes de Dalí

• Monument impérial à la femme-enfant (1929, collection privée).

• Persistance de la mémoire (1931, Museum of Modern Art, New York).

• Évocation de Lénine (Six apparitions de Lénine sur un piano) [1931, musée national d’Art moderne, Paris].

• La Naissance des désirs liquides (1932, collection privée).

• Construction molle avec haricots bouillis ; prémonition de la guerre civile (1936, Museum of Art, Philadelphie).

• Cannibalisme d’automne (1936-37, Tate Gallery, Londres).

• Le Sommeil (1937, collection privée).

• Marché d’esclaves avec le buste invisible de Voltaire (1940, collection privée).

• Gala regardant Dalí en état d’antigravitation au-dessus de son œuvre d’art « Pop, Op, Yes-Yes, Pompier », dans laquelle nous pouvons contempler les deux personnages angoissants de « l’Angélus » de Millet en état atavique d’hibernation, devant un ciel qui peut soudainement se transformer en une gigantesque croix de Malte au centre même de la gare de Perpignan vers laquelle tout l’univers converge (1965, collection privée).