Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cuvier (Georges) (suite)

Cuvier a été avant tout un grand classificateur : il a fourni les bases des classifications actuelles à l’intérieur des grands groupes, en particulier des Mammifères et des Mollusques. On lui doit aussi (et cela va de pair) le principe de corrélation des caractères, en vertu duquel l’adaptation, par exemple, laisse sa marque sur diverses parties du corps : tout Mammifère à cornes possède des sabots et des molaires usés en croissant, mange de l’herbe et rumine (Cuvier a dit en plaisantant que le diable en personne ne lui faisait pas peur : puisqu’il avait des cornes, il était herbivore et n’attaquait pas l’homme !).

L’application la plus célèbre de ce principe concerne un Mammifère marsupial. En 1805, un morceau de gypse extrait à Montmartre présente l’empreinte d’une mâchoire de Sarigue. Cuvier détermine dans la masse rocheuse non exploitée l’emplacement probable des os marsupiaux, convoque quelques témoins, annonce que l’on va trouver les os marsupiaux, creuse et les trouve. À ce propos, il écrit : « Le vrai cachet d’une théorie est sans contredit la faculté qu’elle donne de prévoir les phénomènes. » De fait, pour la première fois, une découverte paléontologique avait répondu à la prévision.

Malheureusement, Cuvier n’a pas eu sur tous les points la même clairvoyance : il était résolument fixiste, professait le plus grand mépris pour Lamarck et eut même avec son ami Geoffroy Saint-Hilaire, devant l’Académie des sciences, en mars 1830, une célèbre « dispute », dans le style des disputationes du Moyen Âge, au sujet de l’évolution. Cette intransigeance fixiste conduisit Cuvier à sa notion erronée des « révolutions du globe », bouleversements imaginés pour expliquer la succession de plusieurs faunes fossiles sur les mêmes lieux. Cuvier n’en est pas moins le père de la zoologie systématique et de la paléontologie animale.

H. F.

 L. Roule, la Vie et la mort de Georges Cuvier, 1769-1832 (Masson, 1927). / E. G. Dehaut, les Doctrines de Georges Cuvier dans leurs rapports avec le transformisme (Lechevalier, 1945). / W. Coleman, Georges Cuvier, Zoologist, a Study in the History of Evolution Theory (Cambridge, Mass., 1964). / R. Dujarric de La Rivière, Cuvier, sa vie, son œuvre (Peyronnet, 1969). / Georges Cuvier, de son temps au nôtre (l’Expansion, 1970).

Cuzco

V. du Pérou, ch.-l. de départ., dans les Andes, à 3 650 m d’alt. ; 131 000 hab.


Capitale des Incas*, la ville devint un des grands centres de l’implantation espagnole en Amérique du Sud. Ses petites rues et ses maisons à patio ont parfois comme substructures des constructions cyclopéennes incaïques. Avec Arequipa et surtout Lima*, elle fut un des principaux foyers artistiques du Pérou à l’époque coloniale.


Architecture et décoration intérieure

Si les monuments du xvie s. sont rares, c’est que l’époque fut marquée par de nombreux désordres civils et de fréquents tremblements de terre. De ce siècle, Cuzco conserve cependant, quoique restaurés, les cloîtres de San Francisco et de Santo Domingo, datant d’environ 1550. L’édifice le plus important reste la cathédrale, construite à partir de 1582 par Francisco Becerra (1546-1601), sur le modèle de la cathédrale espagnole de Jaén, et qui fut achevée dans la décennie 1644-1654.

Le terrible tremblement de terre de 1650 est à l’origine d’une grande campagne de reconstruction entreprise par les évêques de Cuzco, au cours de laquelle s’impose un nouveau style architectural. Selon certaines présomptions, le créateur de ce style serait le jésuite Juan Bautista Egidiano, né à Gand en 1596. Les monuments les plus typiques d’alors sont le portail central de la cathédrale (1651-1654) et l’église de la Compañía, reconnaissable à ses tours au couronnement original. Autre édifice significatif, le cloître de la Merced est remarquable non seulement pour la pureté de ses proportions, mais aussi pour la couleur dorée de la pierre utilisée et l’ornementation de ses colonnes ; de deux de ses côtés partent deux escaliers du modèle « impérial ».

Épuisée par ce grand effort, la ville n’a que peu construit au cours du xviiie s., au bénéfice de la décoration des intérieurs. Citons néanmoins parmi les édifices religieux l’église du Triunfo (1729-1732), inspirée du Sagrario de Grenade quant au plan, et la tour de Santo Domingo (1729-1731), semblable à celle de la Merced à l’adjonction près de colonnes torses. Enfin, c’est peut-être à la même époque que fut élevée la façade de l’université (auparavant collège de la Compagnie de Jésus), imitation de celle de l’église du Triunfo. Le trait le plus caractéristique de toutes ces constructions est l’emploi de colonnes à corps hélicoïdal qui rappellent celles dont sont ornés les retables.

Un des aspects les plus brillants de l’art de Cuzco est en effet celui du décor intérieur en bois sculpté, auquel ont consacré leur talent des artistes du xviie s. comme Martín Torres, Pedro Galeano et surtout Diego Martínez de Oviedo, spécialiste de la colonne torse, par exemple dans le retable de l’église de Santa Teresa (1664). C’est à lui ou à son atelier que l’on doit le retable majeur de l’église de la Compañía. Cet art se prolonge au xviiie s. avec le grand retable de l’église de San Pedro (1720).


Peinture

Elle a pour principaux représentants, au xviie s., Diego Quispe Tito, Basilio de Santa Cruz et Fray (frère) Francisco de Salamanca. Le premier, influencé par Bernardo Bitti (Ancône 1548? - Lima 1610) et par les dessins de l’école d’Anvers, a beaucoup de parenté avec les maniéristes. Parmi ses œuvres, on retiendra un saint Jean-Baptiste caractéristique de cette école et une représentation du zodiaque unique en son genre dans toute la peinture hispano-américaine. Protégé par l’évêque Mollinedo, le peintre indien Basilio de Santa Cruz Pumacallo est l’auteur des peintures du transept de la cathédrale (v. 1690) ; le caractère « avancé » de son art est d’autant plus frappant qu’à Cuzco la peinture marquait un retard stylistique de près d’un demi-siècle sur celle de l’Europe ; ce modernisme tient sans doute au fait que le peintre connaissait les grands baroques espagnols, dont l’évêque possédait plusieurs œuvres. La découverte récente, dans le couvent de la Merced, de la cellule du frère Francisco de Salamanca, peintre et ascète, a révélé un talent tout à fait indépendant.