Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre le Grand (suite)

La route de l’Inde

On peut faire l’inventaire des motifs possibles de l’expédition qu’Alexandre entreprit vers l’Inde, de 327 à 325. Il quittait alors les bornes du monde perse, considéré comme conquis. Peut-être le besoin d’argent y était-il pour quelque chose. Peut-être aussi le désir d’une saine gloire pour se réhabiliter auprès de ses compagnons, dont il semble avoir compris parfaitement l’hostilité à son orientalisation et à sa divinisation. Peut-être plus simplement le goût de l’aventure militaire...

Parti de Bactres, il descendit la vallée du Kôphên, dont les alentours étaient habités par des peuples habitués à la guérilla et très habiles à se replier dans leurs nids d’aigle après leurs provocations. Le rocher d’Aornos, qui domine l’Indus, laissa le souvenir d’une escalade héroïque. Au-delà du fleuve, Alexandre reçut l’hommage du Taxilès, le souverain de Taxila, et prit le chemin de l’Hydaspe, sur les bords duquel ses troupes se heurtèrent à celles d’un autre monarque indien, le Pôros. Les éléphants indiens se chargèrent d’une bonne part du carnage, ce qui laissa une vive impression dans l’esprit des Grecs. Les éléphants capturés, le Pôros se rendit. Les villes de Nicea et de Boukêphalia furent fondées sur les lieux du combat. Le roi vaincu fut traité avec égards et devint même un allié. S’enfonçant plus loin dans l’Inde, Alexandre se heurta à d’autres adversaires, puis atteignit l’Hyphase. Là, on découvrit un désert à traverser. On apprit aussi qu’on n’était pas encore aux bornes du monde habité : Alexandre aurait volontiers continué, mais ses hommes refusèrent de le suivre. Il fit donc demi-tour, après avoir consacré aux dieux de l’Olympe douze autels monumentaux. Il descendit l’Hydaspe, puis l’Akésinès, puis l’Indus jusqu’à l’Océan, non sans guerroyer et même se faire personnellement blesser gravement. De l’Inde, il ramenait un brahmane, Calanos, et un dossier d’informations scientifiques, collectées par les savants de sa suite. Tandis qu’il rejoignait le cœur de la Perse par la voie de terre, son amiral, Néarque, longea par mer la côte jusqu’au fond du golfe Persique : ce périple le long de cette côte désertique fut hérissé de difficultés et de périls, mais fécond en observations (mousson, baleines).


Consolidation de l’Empire

Pendant les campagnes orientales, une certaine anarchie s’était instaurée dans le cœur de la Perse. Certains des compagnons s’étaient livrés à des abus et des malversations ; un homme du pays, Baryaxès, s’était proclamé roi en Médie, tandis qu’un Grec, Athenodôros, avait pris le pouvoir en Bactriane ; le tombeau de Cyrus, à Pasargades, avait été pillé ; enfin, le maître du trésor royal, Harpale, avait puisé librement dans la caisse et, sentant revenir Alexandre, s’était enfui en Grèce.

Il était temps de revenir au chef-lieu des étendues conquises pour manifester de là, en toutes directions, la volonté royale. Reste à savoir quelle a pu être l’exacte volonté du roi. Il paraît douteux qu’il ait fait preuve de cet esprit de système que Plutarque lui attribuait en disant qu’il voulait réduire l’univers à un seul peuple, un seul État, sous un seul chef. Un seul peuple : Alexandre a bien songé à opérer une fusion totale entre ses Gréco-Macédoniens et les Asiatiques. En 324, il décida d’épouser Statira, fille de Darios, et, en même temps, ses officiers épousèrent des femmes perses. Des milliers de soldats auraient suivi le mouvement. Tout cela se passa sans difficulté. Mais les Macédoniens manifestèrent leur mécontentement à propos des mesures prises à l’égard de l’armée, d’où ils se sentaient menacés d’éviction : des Perses étaient incorporés dans les unités d’élite, ils étaient formés et équipés à la mode macédonienne, et il était même question de licencier les grognards épuisés par la grande expédition. Les soldats menacèrent de partir tous ; finalement, 11 000 d’entre eux regagnèrent leurs foyers, nantis de confortables indemnités de licenciement (incident d’Opis, été 324).

La Grèce elle-même n’échappa pas à cette politique de réconciliation forcée : aux jeux Olympiques de 324, l’ambassadeur d’Alexandre fît savoir que toutes les cités devraient rouvrir leurs portes à leurs exilés politiques. Athènes et quelques autres cités se firent tirer l’oreille.


La dernière année

En 323, Alexandre était dans sa capitale, Babylone. Tout semblait annoncer le début d’une ère de prospérité et de paix. De tous les coins du monde, ambassadeurs et quémandeurs affluaient pour solliciter la parole royale. Alexandre parcourait les alentours de la capitale, faisant creuser des canaux d’irrigation, aménager des ports, construire des navires. Au même moment, des expéditions maritimes effectuaient des reconnaissances le long de la côte d’Arabie. C’est qu’Alexandre envisageait de repartir en expédition : entre l’Égypte et la Perse, il restait l’Arabie, pays à la richesse plus fabuleuse que réelle. L’expédition était prête quand il tomba malade, à la suite d’un long festin, et mourut en quelques jours. Il avait trente-trois ans.


L’œuvre

Alexandre est passé dans l’histoire comme une trombe. S’il a donné l’exemple de la tolérance universelle, s’il a ébloui non seulement ses contemporains mais aussi les générations suivantes, il n’est pas resté grand-chose de son œuvre. Il a certes favorisé l’expansion de l’hellénisme, dont ses fondations ont été les durables jalons, mais son empire, vite conquis, se morcela encore plus vite, et une période de troubles succéda à la mort du conquérant.

R. H.

➙ Achéménides / Alexandrie / Babylone / Cyrus / Darios / Égypte / Grèce / Hellénistique (monde) / Inde / Iran / Macédoine / Mèdes / Philippe II / Syrie.

 H. Berve, Das Alexanderreich auf prosopographischer Grundlage (Munich, 1926 ; 2 vol.). / M. A. Stein, On Alexander’s Track to the Indus (Londres, 1929) ; Archaeological Reconnaissances in North Western India and South Eastern Iran (Londres, 1937). / A. Weigall, Alexander the Great (Londres, 1933 ; trad. fr. Alexandre le Grand, Payot, 1955). / G. Glotz, P. Roussel et R. Cohen, Alexandre et l’hellénisation du monde antique (P. U. F., « Histoire générale » fondée par G. Glotz, 1938). / G. Radet, Alexandre le Grand (l’Artisan du livre, 1950). / C. A. Robinson, The History of Alexander the Great (New York, 1953). / F. Altheim, Alexander und Asien (Tübingen, 1953 ; trad. fr. Alexandre et l’Asie, Payot, 1954). / A. Abel, le Roman d’Alexandre (Office de publicité, Bruxelles, 1955). / A. R. Bellinger, Essays on the Coinage of Alexander the Great (New York, 1963). / P. Bamm, Alexander the Great (Londres, 1968 ; trad. fr. Alexandre le Grand. Pouvoir et destin, Sequoia-Elsevier, Bruxelles, 1969). / P. Briand, Alexandre le Grand (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1974).