Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Croatie (suite)

Mais la Croatie, au sein du nouvel État yougoslave, n’obtient pas d’autonomie ; l’opposition entre les Croates fédéralistes et les Serbes centralistes sera donc le problème essentiel du royaume entre 1918 et 1941. Le parti paysan croate, principal parti croate, est en même temps le plus puissant parti d’opposition du royaume. Malgré sa deuxième place aux élections à l’Assemblée constituante en 1920, il s’abstient lors du vote de la Constitution centralisatrice de 1921 ; Stjepan Radić fuit même à l’étranger, où il rattache le parti à l’Internationale paysanne de Moscou ; le parti est alors interdit. Toutefois, en 1925, il finit par reconnaître le régime ; mais, après une brève participation au pouvoir, il retourne dans l’opposition. L’assassinat de Stjepan Radić et de deux autres membres du parti le 20 juin 1928 à l’Assemblée nationale provoque une grave crise et entraîne la dictature du roi Alexandre Ier Karadjordjević. S’ensuit une politique autoritaire. En 1930 et en 1933, des procès sont intentés à des représentants du parti paysan croate et à son nouveau chef, Vladimir Maček (1879-1964). Des politiciens croates émigrent. Certains, tel Ante Pavelić (1889-1959), fondateur de la société secrète Oustacha, s’orientent vers l’action terroriste ; ils sont vraisemblablement les initiateurs de l’attentat mortel contre le roi Alexandre Ier en 1934. D’autres font campagne auprès de la S. D. N. pour dénoncer la répression en Croatie (mémorandum de 1931). Toutefois, avec le développement général de l’opposition en 1939, un compromis (sporazum) entre le nouveau chef du gouvernement yougoslave, Dragiša Cvetković, et le chef du parti paysan croate, Maček, donne un statut autonome à une banovine de Croatie qui englobe une partie de la Bosnie.

Mais son application est brève : après la victoire de l’Axe sur la Yougoslavie en avril 1941, la Croatie devient un État satellite, bientôt érigé en royaume, avec A. Pavelić comme chef de gouvernement (son roi, le duc de Spolète, n’y viendra jamais) ; l’État croate englobe toute la Bosnie-Herzégovine et est partagé entre une zone d’occupation allemande au nord et une zone italienne au sud. Cet État fasciste persécute les juifs et les Serbes orthodoxes (« catholicisation » forcée), suscitant des luttes fratricides particulièrement pénibles en Bosnie, où les populations serbes, croates et musulmanes sont très mélangées. Les troupes de l’Oustacha collaborent avec les Allemands à la lutte contre les partisans de Tito ; en 1943, un Conseil antifasciste de libération nationale est créé (Zavnoh).

Presque entièrement libérée au moment de la capitulation allemande en mai 1945, la Croatie, y compris la Dalmatie*, devient une république fédérée de la Yougoslavie.

M. P. C.

➙ Dalmatie / Yougoslavie / Zagreb.

 T. Smičiklas, Histoire de la Croatie (en serbo-croate, Zagreb, 1879-1882 ; 2 vol.). / V. Klaiḉ, Histoire des Croates des origines à la fin du xixe siècle (en serbo-croate, Zagreb, 1899-1920 ; 6 vol.). / R. W. S. Watson, The Southern Slav Question and the Habsbourg Monarchy (Londres, 1911). / A. Blanc, la Croatie occidentale (Institut d’études slaves, 1957).

Croce (Benedetto)

Philosophe, historien et critique italien (Pescasseroli, l’Aquila 1866 - Naples 1952).


L’œuvre et la pensée de Croce ont dominé la scène culturelle italienne pendant toute la première moitié du xxe s. Succédant déjà à une dizaine d’essais et à de nombreux travaux d’érudition, L’Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale impose son nom dès 1902, et, à partir de 1903, la revue Critica (interrompue par la guerre en 1944, puis continuée par les Quaderni della Critica), fondée et presque entièrement rédigée par lui, témoigne de son incessante intervention dans les domaines les plus variés de la culture contemporaine. L’œuvre de Croce, immense (74 volumes), alterne réflexion théorique et praxis érudite, philosophie de l’histoire et historiographie, esthétique et critique.

Fils de riches propriétaires terriens, Croce est conduit encore enfant à Naples, où toute sa famille périt en 1883 dans un tremblement de terre. Il s’inscrit à la faculté de droit de Rome, mais n’y suit bientôt que les cours de philosophie morale d’Antonio Labriola, qui lui révèle Marx, Engels et, à travers la gauche hégélienne, Hegel lui-même. Renonçant à tout diplôme universitaire, il rentre, en décembre 1885, à Naples, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort. Sénateur (censitaire) à partir de 1910, il est en 1920 ministre de l’Instruction publique de Giolitti*. D’abord indulgent à l’égard du fascisme, il se ravise devant le raidissement dictatorial du régime, auquel il manifeste après 1925 une opposition de plus en plus ferme et cohérente. Ministre sans portefeuille dans les gouvernements Badoglio et Bonomi (1944), puis président du parti libéral, il se retire bientôt de la vie publique et fonde (1947) dans sa demeure napolitaine l’Istituto italiano per gli studi storici (Institut Croce).

Outre celle de la philosophie hégélienne (Saggio sullo Hegel, 1913), il subit surtout l’influence de Vico (La Filosofia di Giambattista Vico, 1911) et de De Sanctis (Gli Scritti di Francesco De Sanctis e la loro varia fortuna, 1917). Si sa philosophie édifie incontestablement un véritable système, la fonction de la philosophie dans son œuvre est essentiellement de transition : subordonnée, d’une part, à l’élaboration des concepts opératoires d’histoire et d’historiographie et, d’autre part, à l’évolution qui conduit Croce des recherches érudites de son adolescence (La Rivoluzione napoletana del 1799, 1897) aux chefs-d’œuvre historiques de sa maturité (Storia del regno di Napoli, 1925 ; Storia d’Italia dal 1871 al 1915, 1928 ; Storia d’Europa nel secolo xix, 1932). Logica come scienza del concetto puro (1909), Filosofia della pratica. Economia e etica (1909) et Teoria e storia della storiografia (1917), plus tard complétés respectivement par Breviario di estetica (1913), Nuovi Saggi di estetica (1920), La Poesia (1936), La Storia come pensiero e come azione (1938), Etica e politica (1931) et Filosofia e storiografia (1949), autant qu’à esquisser une synthèse des catégories de la pensée (où l’esthétique, la logique, l’économie et l’éthique entrent dans un rapport de progressive intégration), visent, en effet, à affirmer l’identité du concept et du jugement, de l’histoire et de la philosophie, bref à résoudre la logique traditionnelle dans une doctrine de la connaissance historique (« la philosophie n’est que le moment méthodologique de l’historiographie »). Mais la primauté culturelle de Croce est liée avant tout à son activité dans le domaine de l’esthétique et de la critique. Affirmant l’autonomie de l’art, irréductible aux finalités esthétiques, intellectuelles, hédonistes ou morales, qui le détournent de sa finalité propre, Croce se propose de distinguer dans chaque œuvre le beau, autrement dit l’expression pure, de ses résidus idéologiques (Poesia e non poesia, 1923). Si La Poesia di Dante (1921) est l’illustration la plus célèbre (et la plus controversée) de cette procédure critique, Ariosto, Shakespeare e Corneille (1920) en est sans doute l’exemple le plus accompli, tandis que les six volumes de La Letteratura della nuova Italia (1914-1940) trahissent l’hostilité croissante de Croce à la littérature italienne contemporaine (Giovanni Pascoli, Antonio Fogazzaro, D’Annunzio, Pirandello). De même, dans l’œuvre de Croce, les condamnations abondent à l’égard de Mallarmé, de Verlaine, de Rimbaud, de Valéry, de Proust. Mais, fidèle au principe selon lequel un jugement esthétique négatif n’exclut pas l’intelligence historique d’une œuvre, Croce eut le grand mérite de préparer la vaste réévaluation (encore en cours) d’un siècle alors méconnu et qu’il n’aimait pas, le xviie « baroque », auquel il consacra peut-être le meilleur de son activité d’historien (Storia dell’età barocca in Italia, 1929), de critique (Saggi et Nuovi Saggi sulla letteratura italiana del seicento, 1911-1931) et d’éditeur (Poesie varie, a cura di Benedetto Croce de G. B. Marino, 1913 ; le Pentamerone de G. B. Basile, 1925).

J.-M. G.

➙ Baroque / Italie.