critique (suite)
• Pour juger, il faut d’abord comprendre : « Chercher le songe d’une œuvre, exprimer ce qu’elle contient, la faire aimer si on l’aime, détester si elle mérite de l’être, marquer, en cas de défaillance, ce qu’elle aurait pu devenir, trouver les liens qui l’unissent à l’auteur, aller au fond de son talent, de ses inquiétudes ou de ses faiblesses, plus loin qu’il n’oserait lui-même », tel est, d’après Pierre Brisson, le devoir difficile du critique idéal.
• Faut-il, pour répondre au vœu de Paul Scudo (1806-1864), être avant tout « objectif, prudent, sincère, sans haine et sans passion » ? L’objectivité absolue est un leurre : par définition, tout jugement personnel est subjectif. La prudence est cousine de la timidité. Et une critique sans passion ressemble à un repas sans épices. On ne saurait enfin, par souci d’équité absolue, louer sincèrement ce que l’on n’aime pas.
• Le rôle du critique n’est pas de prédire l’avenir d’une œuvre, mais de réagir — au sens chimique du terme — dans le présent. Son ambition ne doit pas être de modifier les habitudes des créateurs ou des interprètes, mais d’éclairer les auditeurs et, surtout, de leur fournir des éléments de discussion.
• Bien que la musique soit à la fois un art et une science, l’analyse technique renseigne mal. C’est que l’on confond trop souvent la matière et l’esprit et qu’il est aussi facile de parler des notes qu’il est difficile de parler de la musique : la pire erreur est de faire prendre celles-là pour celle-ci. Les compositeurs n’ont jamais — jusqu’à l’époque contemporaine, exclusivement — décrit leurs ouvrages avec des termes techniques.
• La critique doctrinaire est à rejeter, parce qu’en la pratiquant on obéit à des règles et qu’un chef-d’œuvre fait toujours figure d’exception. Il ne s’agit ni de sentences ni de leçons, mais d’une discussion, toujours ouverte.
• La critique historique est importante en ce qu’elle place l’ouvrage à juger dans l’éclairage du temps. La critique impressionniste, au sens schumannien du terme, ouvre des perspectives séduisantes en ce qu’elle « cherche à produire avec des mots une impression comparable à celle que faisait avec des notes l’œuvre originale... ». Une image tout à fait juste — par exemple celle dont usait L.-P. Fargue pour décrire le Sacre du printemps : « Un cratère de musique s’ouvre... » — va parfois plus loin qu’un jugement circonstancié.
• Ne pas être l’avocat d’une école, car, très vite, on en deviendrait le client. Le « critique de soutien », le « critique de combat » s’essoufflent vite et perdent rapidement leur crédit et l’impartialité nécessaire. Ils ne font plus la différence entre la valeur d’un morceau et sa tendance.
• On demande à un critique son avis, et non celui de la foule qui l’entoure. Un verdict n’est pas un référendum.
• La pire des illusions, c’est de croire qu’on ne commettra pas d’injustices — le passé en fourmille. La pire des tentations, c’est de chercher à tout prix le génie inconnu et, si on ne le rencontre pas, de l’inventer.
B. G.
