Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

critique (suite)

Avec l’apparition de l’exposition* temporaire et du musée*, cette forme de critique d’art progresse. Elle trouve sa meilleure expression avec la critique française du xixe s. : Augustin Jal (1795-1873), Champfleury (1821-1889) et surtout Charles Baudelaire*, qui donne la plus suggestive analyse de l’art romantique. La réflexion sur l’art du passé provoque l’apparition de genres nouveaux, promis à des développements considérables : le « catalogue raisonné », dont Johann David Passavant (1787-1861) a fondé les principes dans sa monographie de Raphaël dès 1839, et l’analyse expérimentale, pratiquée par Giovanni Morelli (1816-1891). C’est dans cette ligne que s’inscrivent des critiques plus récents comme Bernard Berenson (1865-1959), Max Jakob Friedländer (1867-1958) ou John Pope-Hennessy (né en 1913).


La critique d’art comme science auxiliaire de l’histoire

Mais la création de l’œuvre d’art ne peut être isolée d’un certain cadre chronologique et des conditions générales de l’histoire. Même si le critique tente de s’abstraire de ce cadre, la démarche de sa pensée sera nécessairement historique : il raisonne sur des objets achevés (car la critique de l’œuvre d’art « en train de se faire » s’exerce soit en fonction d’une forme finale désirée ou devinée, soit au vu d’états d’élaboration déjà considérés comme satisfaisants en eux-mêmes). Et tout effort pour reconstituer la genèse de l’œuvre et les motivations de l’artiste fait partie de l’histoire.

À l’inverse, l’historien ne peut négliger l’art en tant que phénomène historique. Toute tentative d’explication d’une période donnée qui négligerait l’étude de ses manifestations artistiques serait faussée ; comment parler du ve s. grec sans analyse du Parthénon ou de la France de Louis XIV sans référence à l’art de Versailles ? Mais, aux yeux de l’historien, toute forme artistique mérite l’attention, car elle est avant tout un document. De là une renonciation volontaire au critère intuitif du goût personnel et même aux valeurs apparemment plus objectives que peut fournir à l’historien l’esthétique de son temps : l’œuvre est étudiée et expliquée en elle-même, en fonction de son époque et de la mentalité de ceux par qui et pour qui elle a été créée. L’élément proprement critique intervient au départ dans la détermination du degré d’authenticité et par la suite dans l’évaluation de la qualité artistique de l’œuvre, dans le relatif (comparaison avec les œuvres analogues) comme dans l’absolu (place dans l’ensemble de l’héritage culturel de l’humanité). Cette recherche du degré de qualité, trop souvent négligée par les historiens d’art, permet de dépasser la simple description documentaire. Mais, à la limite, la critique d’art se confond alors avec l’histoire de la civilisation, et c’est bien ainsi que l’ont entendu Taine* (1828-1893), Jacob Burckhardt (1818-1897) et Max Dvorák (1874-1921).


Influence de la critique d’art sur l’évolution de l’art

Il serait absurde de vouloir, à toute force, faire entrer l’œuvre d’un écrivain quelconque dans l’une des quatre catégories de critique d’art définies ci-dessus (cinq en comptant les essais littéraires). Beaucoup de textes, et parmi les plus importants, participent de plusieurs genres ou même parfois proclament leur appartenance à telle catégorie et relèvent en fait d’une autre. Une forme très répandue de critique d’art, et l’une des premières apparues au strict point de vue chronologique, est la forme biographique ; quoique calquées sur un genre historique (celui de la « vie des hommes illustres »), ces vies d’artistes ne peuvent être que rarement assimilées à une forme de critique d’art historique. Parfois, comme dans les célèbres Vite de Vasari* (1511-1574), l’aspect technique de l’analyse est très important et peut être le plus original. Chez André Félibien (1619-1695), au contraire, l’aspect doctrinal l’emporte.

Le lien qui unit le critique d’art à l’art de son temps est difficile à définir. Beaucoup de points de vue esthétiques sont en violente réaction contre les recherches nouvelles caractéristiques de l’époque où ils ont été définis. Au ive s. av. J.-C., Platon et Aristote exaltent implicitement l’art de la fin du ve s. et rejettent du même coup Lysippe et Apelle. Giovanni Pietro Bellori (v. 1616-1696) ne donne pour modèles à suivre que des artistes antérieurs d’un siècle au moins et rejette les leçons du Caravage et de Rubens. Lessing* (1729-1781), fasciné par le mythe de l’art grec, que, d’ailleurs, il connaît mal, tient en suspicion tout l’art de son temps. Ruskin* (1819-1900) dédaigne les plus grands paysagistes anglais, ses compatriotes et contemporains. Et l’on pourrait multiplier les exemples jusqu’au formidable malentendu qui sépara la majorité des critiques d’art (suivis par le public) et la peinture vivante à partir du milieu du xixe s., et plus particulièrement en France. La confusion avait commencé dès 1848 avec la question du réalisme*, où les fines analyses de Théophile Thoré (dit W. Bürger, 1807-1869) furent éclipsées par les professions de foi d’Émile Zola*. L’impressionnisme* est peut-être le cas le plus typique d’un mouvement artistique né sans doctrine et dont la critique d’art, hostile ou favorable, tenta en vain de donner une définition.

Un siècle plus tôt, au contraire, le néo-classicisme apparaît comme une création presque totale de la critique d’art (v. classicisme). La réaction classicisante, spontanée et modérée, qui avait marqué vers 1740-1750 le déclin de l’art rocaille, évolua dans un sens radical et systématique sous la pression de critiques d’art férus d’archéologie. Les découvertes d’Herculanum, éclairées par la publication de l’Histoire de l’art chez les Anciens (1764) de Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), remettaient en question le problème traditionnel de la valeur absolue des modèles antiques. Avec un enthousiasme hautement affirmé, mais non sans de secrètes révoltes qui allaient éclater au grand jour avec la crise romantique, artistes, critiques et amateurs adhérèrent à ce nouvel idéal : l’incontestable valeur scientifique et la nouveauté de l’art antique alors révélé dissimulèrent aux yeux des contemporains l’indigence de la doctrine.