Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

crises et cycles économiques (suite)

La récession, crise mineure

Si, depuis 1929-1933, les pays industrialisés n’ont plus été en proie à des crises catastrophiques, leur évolution économique et même leur croissance d’après guerre font cependant voir des oscillations caractéristiques. On ne peut contester le fait que, dans une économie de marché, les méthodes capitalistes de production et la mobilité imparfaite des facteurs de production aboutissent nécessairement à des désajustements entre les taux courants de production et de vente. Il y a donc encore des phases d’accélération et des phases de freinage du taux de croissance, mais il n’y a plus de cycles au sens ancien du terme, c’est-à-dire des périodes alternées de progression et de recul de la production intérieure. Ces oscillations conjoncturelles ont été dénommées récessions pour marquer le fait de leur atténuation et, peut-être, de leur moindre régularité. On a pu observer de telles récessions en 1952-53 (suites de la guerre de Corée), en 1958, en 1960-61 et 1969-70. Ces récessions manifestent des variations de faible ampleur du revenu national. Ainsi, pour la France, la production s’est réduite de 6 p. 100 pendant la récession de 1953, de 8 p. 100 pendant celle de 1957-58. Les récessions sont marquées par un déclin de la production industrielle, ce qui entraîne une réduction d’horaires de travail et du chômage pour les salariés, un ralentissement des hausses de salaires malgré une poussée des prix, une compression des prix agricoles à la production pour limiter le coût de la vie, etc.


Les nouveaux stabilisateurs

Ces récessions n’ont à aucun moment provoqué des dommages comparables à ceux qui accompagnaient les crises classiques du xixe s., sans parler de la grande dépression des années 1930. Si, depuis la Seconde Guerre mondiale, les récessions (en exceptant la crise de 1974-75) n’ont pas pris une ampleur et une durée plus menaçantes, c’est non seulement parce que les forces d’expansion à l’œuvre ont amorti leurs effets, mais également parce que des changements profonds, de caractère structurel, ont freiné les processus cumulatifs des fluctuations économiques. Par exemple, les changements survenus dans la structure sociale ont incorporé à celle-ci certains stabilisateurs automatiques. Le principal d’entre eux résulte de l’existence d’un secteur tertiaire qui entraîne une stabilisation de la demande intérieure privée. Cette stabilisation résulte de la relative indépendance des revenus de ceux qui travaillent dans le tertiaire par rapport aux mouvements conjoncturels. L’emploi y est moins sensible aux fluctuations de l’activité : cette stabilité de l’emploi résulte, pour une très large fraction du tertiaire, de la nature même de fonctions (Administration, enseignement, recherche, défense, médecine, etc.) qui ne sont que très peu, ou pas du tout, influencées par la conjoncture économique, du moins à court terme, ce qui empêche de leur part un effondrement de la demande. Mais, pour les autres secteurs d’activité du tertiaire, comme la distribution et les transports, où la conjoncture pourrait jouer un rôle plus marqué, la stabilité relative provient du fait que ces secteurs ont une proportion d’employés deux à trois fois plus importante que l’industrie. Le même rôle est joué par plusieurs des éléments stabilisateurs imputables à l’État : les transferts sociaux, les revenus des fonctionnaires, les dépenses courantes de l’État sont autant de facteurs de la demande qui échappent à l’influence immédiate de la récession. L’influence des syndicats ouvriers et des entreprises sur les prix et les salaires aboutit au même résultat. Enfin, la planification établie par les firmes industrielles en matière d’investissements agit dans le même sens.

L’atténuation des fluctuations économiques depuis 1945 provient aussi de l’application d’une politique anticrise, s’appuyant sur l’emploi délibéré de toutes les possibilités dont l’État peut user pour enrayer le déclin de l’activité économique et pour relancer celle-ci : soutien de la masse des revenus par une politique appropriée des transferts (allocations de chômage s’ajoutant aux transferts habituels), accroissement des dépenses courantes de l’État et des investissements du secteur public, incitations diverses au développement des investissements privés (prêt de fonds publics, dégrèvements fiscaux, etc.). Cet ensemble de moyens est d’ailleurs très souvent utilisé en tenant compte d’une information globale et détaillée sur la nature de la récession, sur sa propagation, sur les perspectives apparentes des diverses solutions de relance possibles. Cette information est élaborée, dans la plupart des grands pays industrialisés, sous forme de comptabilités nationales, rétrospectives et prospectives. Très souvent, la préparation du budget annuel de l’État s’insère dans ces études prévisionnelles de l’ensemble de la situation économique, et la fixation de chaque catégorie de dépenses ou de recettes, ainsi que de leur niveau global, s’en inspire plus ou moins. Dans la mesure où l’examen prospectif des conditions de l’équilibre économique général l’emporte sur d’autres considérations (financement d’une guerre), il est permis de considérer que l’État mène une politique antirécession avant même que la récession se déclare. En recherchant les « goulets d’étranglement », en localisant les obstacles au développement et en utilisant les moyens budgétaires ou autres dont il dispose pour desserrer ces goulets, pour écarter ces obstacles, l’État mène en permanence une politique stabilisatrice. L’efficacité de cette politique est fonction de la continuité avec laquelle l’État la poursuit, d’autant plus qu’elle suscite une certaine inflation*. Il n’est plus possible d’ignorer le fait que, pour combattre la récession, il est difficile d’éviter le développement de certaines tendances inflationnistes, mais que la lutte contre l’inflation risque d’être à l’origine d’une récession.