Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Convention nationale (suite)

C’est cette dimension que restituent les travaux récents de R. M. Andrews sur les Mauges, de Paul Bois sur le haut Maine, de Charles Tilly sur l’Anjou et de Marcel Faucheux sur la Vendée. Ces auteurs ont détruit la légende du complot et ils ont insisté sur la chronologie d’un mouvement que les aristocrates des associations secrètes ne rejoignent qu’après coup, entre avril et juin 1792. Ils ont aussi eu le mérite de présenter un clergé qui exerce certes une pression sur les ouailles, mais qui est aussi bien souvent déterminé par elles. S’appuyant sur leurs travaux, Claude Mazauric a présenté une approche sociale du problème. Pour cet historien marxiste, la chouannerie est là « où la bourgeoisie s’affirme parasitaire, là où elle compose avec le féodalisme au lieu d’y introduire les processus révolutionnaires de la division technique du travail et du capitalisme, lorsqu’elle donne l’exemple d’un ratage historique [...]. Les régions patriotes au contraire se dessinent autour des pays [...] où le paysan est piloté par le bourgeois et [...] subit les normes de la pensée bourgeoise. » Si, dans les premières régions, on passe du conservatisme à la révolte armée, c’est qu’il y a des médiations qui résident dans le comportement religieux et dans l’intensité de la foi plus grande ici que là.

Sous-administré, sous-équipé en voies de communication, disposant d’une force armée insuffisante, l’Ouest sera submergé jusqu’en octobre par le mouvement contre-révolutionnaire. Échec pour la Gironde, échec qui s’ajoute à celui de la conduite de la guerre (défaite et trahison de Dumouriez) et de la politique sociale. La crise est violente ; partout, à Lyon, à Paris, à Orléans, le marasme touche la manufacture, et les chômeurs taxent les grains. En avril, en même temps qu’ils demandent l’arrestation des Girondins, Marat et Robespierre font voter un maximum des grains. Sous la pression des éléments les plus avancés des sans-culottes, les « enragés », la Convention crée un tribunal d’exception, le Tribunal révolutionnaire, et des comités de surveillance, qui, dans chaque commune, font la chasse aux suspects. Un comité de salut public est formé ; Danton en est membre.

Quand les Girondins contre-attaquent, il est trop tard. Leurs manœuvres suscitent la riposte populaire. Ils jouent la province contre Paris et incitent Bordeaux, Marseille, Lyon et Nantes à se soulever. Ils traduisent en justice Marat, acquitté le 24 avril ; ils font emprisonner, par l’intermédiaire de la commission des Douze, le populaire rédacteur du Père Duchesne, Jacques Hébert* (1757-1794) ; enfin, cette même commission s’en prend à la Commune. Nouveaux Brunswick, les Girondins menacent Paris d’anéantissement « s’il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale ». Un comité insurrectionnel alors s’assemble ; l’extrémiste François Hanriot (1761-1794) est nommé chef de la garde nationale, et, le 31 mai, c’est la première manifestation qui va demander l’arrestation des Girondins. Le 2 juin, l’insurrection prend plus d’ampleur ; la Convention, bloquée, les canons en batterie contre elle, livre vingt-neuf députés et deux ministres girondins. Les Montagnards l’emportent.


La Convention montagnarde

Les armées coalisées sont donc aux frontières ; tandis que l’Alsace est menacée, les troupes sardes pénètrent en Savoie, les Espagnols en Roussillon et les Anglais en Corse, que leur livre Pasquale Paoli (1725-1807). Dans la patrie encerclée, les alliés des « tyrans » sont à l’œuvre. Après la Vendée et la Bretagne, c’est au tour de la Normandie d’échapper au gouvernement de la République. Là comme dans le Midi, très vite les royalistes manœuvrent les Girondins et se servent de l’aide, d’abord involontaire, que ces « fédéralistes » leur apportent.

Les vainqueurs du 2 juin, qui font de Marat assassiné un martyr, se divisent. Déçus d’attendre une riposte qu’ils espéraient rapide, certains traitent de modérés leurs premiers meneurs ; des Montagnards et de la Convention, ils exigent la poursuite des mesures qui doivent amener l’établissement d’une nouvelle Terreur, qui signifie, avec la levée en masse, la chasse aux contre-révolutionnaires et la taxation. Et déjà ils interrogent ceux qui, à la Convention, leur doivent la domination : « Vous qui habitez la Montagne, s’écrie le 25 juin, l’enragé Jacques Roux († 1794), resterez-vous toujours immobiles sur le sommet de ce rocher immortel ? »

C’est par le soutien actif de ces sans-culottes que la Convention montagnarde obtiendra la victoire, en l’an II. Mais ces sans-culottes, dont nous avons saisi la mentalité, que sont-ils ? La description que les historiens en font modifie non seulement le sens de leur intervention, mais aussi celui des hommes qui sont au gouvernement leurs témoins et qui leur doivent leur destin.

Empruntant à Michelet le terme de bras nus pour les qualifier, Daniel Guérin croit pouvoir les assimiler à une avant-garde prolétarienne. Suffisamment conscients et organisés, les sans-culottes grefferaient sur la révolution bourgeoise leur propre révolution. Dans le cadre des sections, ils chercheraient, « en exerçant une dictature par en bas », à accélérer le cours de la Révolution. Mais Robespierre et les Montagnards, représentants de la bourgeoisie, liquideraient cette tentative de démocratie populaire, tuant les chefs des enragés, centralisant et bureaucratisant la Révolution.

Les archives des comités révolutionnaires révèlent à A. Soboul une tout autre physionomie des sans-culottes. Ils ne sont pas une classe sociale, mais un groupe hétérogène où se côtoient petits producteurs indépendants et salariés. Ce sont eux « l’aile marchante de la sans-culotte-rie et le nerf de regroupement social des ouvriers ». C’est la portion artisanale et boutiquière qui donne à l’ensemble de la sans-culotterie sa conception d’une propriété limitée, notion anticapitaliste et régressive. C’est cette arrière-garde économique et sociale qui fonde le gouvernement révolutionnaire. Elle lui reprochera bientôt d’interdire la démocratie directe et de « glacer la Révolution ». En fait, elle sera victime d’elle-même : derrière la solidarité contre l’aristocratie, il y a l’intérêt divergent de celui qui possède et de celui qui n’a que sa force de travail. Robespierre, petit-bourgeois généreux, mais prisonnier de ses origines sociales, ne pourra surmonter de telles contradictions, qui causeront sa chute et celle du gouvernement révolutionnaire.