Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

contradiction et dialectique (suite)

Définie par Engels en termes proprement métaphysiques comme « loi de développement de la nature, de l’histoire et de la pensée extrêmement générales et, précisément pour cela, revêtue d’une portée et d’une signification extrêmes », la dialectique récupère dans le champ de la rationalité tout ce qui est négatif. Le savoir sur la contradiction n’est pas affecté par la contradiction qui s’y inscrit comme élément prédigéré. Hors le savoir dialectique, pas de contradiction ! Cette métaphysique qui se prétend scientifique anticipe sur les résultats de la science, qu’elle généralise afin de boucher les trous en résolvant à sa place les questions que la science ne pose pas. De plus, par sa généralité, elle postule l’homogénéité de tous les objets de la science soumis aux mêmes lois universelles. Extraire la dialectique du domaine où elle s’est constituée dans sa spécificité (l’histoire) pour en faire la loi du Devenir complexe passe outre, comme toute métaphysique, aux impératifs de l’épistémologie sur le travail de transformation préalable au transfert d’un concept (la contradiction) de son domaine d’origine (le matérialisme historique) à un autre. Et on sait maintenant quel est l’office de toute métaphysique : saturer, c’est-à-dire s’enfermer dans un « savoir » sans failles, afin de ne laisser aucune béance ; afin de nier l’autre du Savoir, cet Impensé qui n’est pas le résidu des progrès asymptotiques de la connaissance ; afin de ne reconnaître l’Inconscient que comme objet de science, et de dénier toute vérité à sa parole. Car cette parole à son tour récuse la prétention du philosophe à « résoudre », dans le cadre rassurant d’une rationalité dialectique, les problèmes contrariants de la castration et de la mort.

La dialectique chez Platon

Diviser ainsi par genre et ne point prendre pour autre une forme qui est la même ni pour la même une forme qui est autre, n’est-ce point là l’ouvrage de la science dialectique ? [...] Celui qui en est capable, son regard est assez pénétrant pour apercevoir une forme unique, déployée en tous sens à travers une pluralité de formes dont chacune demeure distincte..., forme unique répandue à travers une pluralité d’ensembles sans y rompre son unité.
(le Sophiste, 253 c-d.)

Hegel, Marx et la dialectique : les pieds sur la terre

• Dans ses « Manuscrits de 1844 », Marx fait le bilan de ce qu’est pour lui la dialectique hégélienne. Il y voit d’abord un côté positif : « La grandeur de la Phénoménologie de Hegel et de son résultat final — la dialectique de la négativité comme principe moteur et créateur — consiste donc d’une part en ceci que Hegel saisit la production de l’homme par lui-même comme un processus, l’objectivation comme désobjectivation, comme aliénation et comme suppression de cette aliénation ; en ceci donc qu’il saisit l’essence du travail et conçoit l’homme objectif, véritable parce que réel, comme le résultat de son propre travail. » Mais dès ce moment le jeune Marx refuse la façon dont Hegel voit le fonctionnement de la dialectique : « Pour Hegel, ce n’est pas le caractère déterminé de l’objet, mais son caractère objectif qui est pour la conscience de soi l’incongruité et l’aliénation. » En d’autres termes, c’est l’objet lui-même qui est nié. Or, « la façon dont la conscience existe et dont les choses existent pour elle est le savoir, qui constitue son unique activité ». Et le jeune Marx refuse non la définition de la dialectique hégélienne, mais son fonctionnement, qui conduit à un idéalisme absolu. « Considérons maintenant les moments positifs de la dialectique de Hegel [...]. C’est d’abord le dépassement, mouvement objectif reprenant en lui l’aliénation... Mais l’athéisme et le communisme ne sont pas une perte du monde objectif engendré par l’homme ; ils ne sont pas une pauvreté qui retourne à la simplicité contre nature et non encore développée. Mais, chez Hegel, l’acte d’engendrement de l’homme par lui-même est un acte seulement formel, car, pour lui, l’être humain lui-même n’a de valeur que comme être pensant abstrait. »

• En rédigeant la postface à la deuxième édition du Capital, en 1873, Marx se dégage plus nettement de son maître, et de façon plus politique que métaphysique. « Ma méthode dialectique non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais elle en est même l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la pensée qu’il personnifie sous le nom de l’idée est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme. J’ai critiqué le côté mystique de la dialectique hégélienne il y a près de trente ans [...]. Mais, bien que, grâce à son quiproquo, Hegel défigure la dialectique par le mysticisme, ce n’est pas moins lui qui en a le premier exposé le mouvement d’ensemble. Chez lui, elle marche sur la tête ; il suffit de la remettre sur ses pieds pour lui trouver la physionomie tout à fait raisonnable. Sous son aspect mystique, la dialectique devint une mode en Allemagne, parce qu’elle semblait glorifier les choses existantes. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes et leurs idéologues doctrinaires, parce que, dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire ; parce que, saisissant le mouvement même, dont toute forme faite n’est qu’une configuration transitoire, rien ne saurait lui en imposer ; parce qu’elle est essentiellement critique et révolutionnaire. »

Contradiction et dialectique chez Mao Zedong (Mao Tsö-tong)

Mao Zedong, s’adressant en 1937 à des cadres militaires et politiques de Yan’an (Yen-ngan), procède, pour leur formation politique, à l’analyse de la « contradiction ». Il vise, par les exemples qu’il donne, à rendre claire la liaison pratique-théorie et se situe dans la ligne de Marx et de Lénine.