Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Consulat (suite)

Il y a là aussi la réalisation d’un désir ; c’est celui d’une grande partie de la bourgeoisie qui, avant comme après 1789, voulait concrétiser son appartenance à une élite que conféraient non pas la naissance mais le talent et le mérite. Il y a là le moyen d’unir noblesse et bourgeoisie. S’il y a un premier pas de fait pour la constitution d’une nouvelle aristocratie, dans l’immédiat, la loi de 1802 présente la Légion d’honneur comme une milice servant « à l’affermissement de la Révolution ».


L’éducation

S’il songe à se créer une clientèle immédiate parmi les adultes, Bonaparte prépare aussi l’avenir, et il est encore homme du xviiie s. quand il accorde à l’éducation d’incomparables vertus. Pépinières de fonctionnaires et d’officiers recrutés parmi la bourgeoisie, les lycées dispensent un enseignement fondé sur le latin et les mathématiques et dont l’esprit philosophique est banni. La discipline y est toute militaire. Mais à côté des lycées subsistent les écoles secondaires, privées ; leur concurrence conduira à l’établissement du monopole. C’est dans ce domaine comme dans celui des rapports avec les Églises que Bonaparte a le plus innové.

Dans la tradition d’un Guibert ou d’un Servant, il pense enfin utiliser l’armée comme cadre d’éducation politique. Il consent aux fils de la bourgeoisie des conditions favorables pour que ceux-ci viennent, un temps, se former au sein de troupes où se côtoient depuis 1789 petits nobles, bourgeois et paysans.


Quelle dictature ?

Contre ceux qui refusent de se soumettre, il emploie une police déjà bien faite et se montre impitoyable. L’attentat de la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800, d’origine royaliste, est attribué aux Jacobins. Bonaparte en profite pour en faire exécuter une dizaine et déporter une centaine.

Pourtant, rien ne serait plus faux que d’imaginer un pouvoir qui se transforme d’un coup en dictature militaire. Bonaparte est encore, dans les années du Consulat comme dans les premières années de l’Empire, un homme que la pratique du pouvoir n’a pas perverti. Il ne se croit pas encore infaillible et, sensible à l’opinion publique, il est assez réaliste pour savoir composer avec elle après avoir cherché à la percevoir et à la comprendre.

Entre lui et les Français, il y a des fonctionnaires qui, pour la plupart, sont des hommes politiques modérés qui ont fait carrière avec la Révolution. Ils ont pris l’habitude à l’époque du Directoire de ne pas travestir entièrement leur sentiment. Les préfets et sous-préfets, dans les premiers temps, gardent même dans leurs rapports avec le consul un franc-parler qui déconcerte le lecteur non averti. Ils savent dire les misères de leurs administrés et au besoin prendre leur défense.

Les conseils privés, les conseils des ministres, et les conseils d’administration qu’il réunit autour de lui n’ont pas seulement un but d’information. Si le Premier consul aime à y opposer les hommes, parfois les inférieurs aux supérieurs, il laisse discuter ses propres projets et tient compte des critiques.


De la pacification générale à la guerre : vers le consulat à vie

Le coup d’État accompli, il a fallu de nouveau s’occuper de la guerre. Les troupes françaises n’ont pu exploiter les succès d’octobre 1799. Une nouvelle fois Bonaparte passe les Alpes, au col du Grand-Saint-Bernard (15-23 mai 1800), s’empare de la Lombardie et va à la rencontre des Autrichiens qui bloquent Masséna dans Gênes. C’est pour lui l’occasion de reprendre en main l’armée.

En fait, Bonaparte se montre inférieur à son génie, et la bataille de Marengo, qu’il livre le 14 juin au général Melas, est longtemps indécise. L’armée de Desaix et la charge de cavalerie de Kellermann emporteront la décision. Bonaparte travestira ces faits dans le compte rendu officiel.

En Allemagne, Moreau fait une brillante campagne qui le mène à Munich, quand, le 15 juillet, un armistice est signé. Les négociations échouant, c’est la victoire de ce général à Hohenlinden (3 déc. 1800) qui pousse l’Autriche au traité de Lunéville (9 févr. 1801). La cession de la Belgique est confirmée, et la nouvelle frontière du Rhin acceptée ; les républiques sœurs sont reconnues.

L’Angleterre, abandonnée par les Russes, menacée par des révoltes déclenchées par la hausse du coût de la vie, se résigne à traiter. À la paix d’Amiens (25 mars 1802), l’Égypte, où Kléber avait remporté une belle victoire (Héliopolis, mars 1800) avant d’être assassiné, est rendue à la Turquie. L’île de Malte, que l’Angleterre vient d’occuper, sera évacuée. La France recouvre ses colonies dans les Antilles et aux Indes, mais Ceylan reste aux Anglais. Bonaparte ne parvient pas à obtenir la reconnaissance des acquisitions territoriales sur le continent. Après dix ans de guerre, la France se trouve en paix générale avec toute l’Europe.

Bonaparte profite de ses victoires pour briser l’opposition royaliste persistante et accentuer le caractère dictatorial du régime. La chouannerie, ranimée dans l’Ouest par Georges Cadoudal, nécessite le maintien de troupes nombreuses ; elles se montrent sans pitié pour les rebelles, auxquels se mêlent souvent des pauvres réduits au brigandage. Contre celui-ci, Bonaparte prend des mesures d’exception en créant des tribunaux à la fois civils et militaires. En 1801, les idéologues des assemblées suivent Benjamin Constant, qui dénonce de telles pratiques. Bonaparte brise une opposition dont Mme de Staël est l’égérie. À l’occasion du renouvellement du cinquième des assemblées, il procède à une épuration et fait nommer des hommes qui lui sont dévoués.

Quelques mois plus tard, en août 1802, après un plébiscite qui lui apporte le soutien de 3 600 000 voix contre 8 374 opposants, il est proclamé consul à vie. La Constitution de l’an VIII, remaniée en l’an X, lui donne le droit de nommer son successeur. Le Tribunat, principal foyer de l’opposition, est réduit de 100 à 50 membres. Le Sénat, fidèle, voit ses pouvoirs renforcés : il peut annuler les arrêts des tribunaux, transformer la Constitution par des sénatus-consultes organiques et dissoudre les chambres. Bonaparte supprime les listes de notabilités et institue des collèges électoraux, d’arrondissement et de département ; les notables y sont élus à vie et y pratiqueront, pour les sièges à pourvoir, la cooptation.