Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

construction (suite)

Dès une haute antiquité, l’utilisation d’instruments spéciaux a permis d’établir des « épures », comme en témoignent le plan, accompagné d’un stylet et d’une règle graduée, figuré sur une statue sumérienne de Goudéa ou tel papyrus égyptien présentant en élévation la face et le profil d’un naos, avec un quadrillage (mise en carreau) pour en permettre l’agrandissement. Les Grecs connaissaient le compas et le tire-ligne, qui suppose des tracés à l’encre sur parchemin — technique utilisée durant tout le Moyen Âge. Si le plan « de Saint-Gall » n’est qu’un programme, tracé au pinceau vers 820, diverses élévations, comme celle d’une flèche de Strasbourg, montrent une technique remarquable.

À vrai dire, le constructeur médiéval, gêné pour s’exprimer sur un support coûteux, devait souvent se contenter de schémas d’ensemble ; pour le détail, il traduisait directement sa pensée à grandeur d’exécution sur une aire plane, en plâtre ou en bois, à l’aide d’un compas d’appareilleur. Cet « art du trait », valable surtout pour la charpenterie, tracée et assemblée au sol, puis « levée », s’adapta très vite à la pierre, conditionnant la structure gothique par sa décomposition en plans, avant de s’attacher à établir des éléments « croches » (à double courbure) en de savantes stéréotomies qui permettront à Monge d’en faire une synthèse : la géométrie* descriptive.

Il importe aussi de noter le rôle du « trait » comme mode de composition purement graphique, « organique » serait-on tenté de dire. Comme tel, il s’oppose à l’arithmétique des vieux systèmes modulaires, à vrai dire appliqués par les Grecs avec une souplesse inconnue de leurs successeurs. À la Renaissance, en effet, apparaît un goût nouveau de la précision ; la multiplication des plans, désormais sur papier et exécutés au té et à la règle graduée dans une agence et non plus dans une loge de chantier, favorise l’application rigide, abstraite des principes modulaires ; en dépit des efforts de l’école rationaliste, nous en restons, aujourd’hui encore, tributaires.

Ce langage des épures n’est guère accessible au non-technicien ; aussi a-t-on cherché d’autres moyens d’appréhender l’espace. La maquette en est un, fort coûteux et décevant ; car le « point de vue de Gulliver » ne saurait être celui des utilisateurs. Quant à la perspective, ses lois, découvertes à la Renaissance (seuls les rabattements et les points de vue divergents étaient connus antérieurement), ont ouvert à l’architecture un nouveau domaine, qui dépasse celui de la construction pour les spéculations du trompe-l’œil. Limitée à son rôle d’outil, la perspective devrait rendre cependant les plus grands services ; il s’agit seulement de ne pas confondre le moyen et le but. D’ailleurs, l’épure elle-même n’échappe pas à cet écueil, et l’on connaît trop les méfaits du « beau plan ».


La réalisation et ses limites

La construction a toujours été étroitement conditionnée par les possibilités d’extraction, de transport et de mise en œuvre des matériaux. Une population primitive ne connaît guère que les matériaux de ramassage et une action élémentaire (feu, outils de silex) sur des matières tendres, végétales ou animales. Avec l’agriculture, le tissage et la poterie, on voit se généraliser le travail du bois à l’aide d’outils de pierre ou de bronze (pointe, hache, herminette et ciseau). Les roches dures elles-mêmes sont dressées par percussion au marteau, coupées, percées et polies par abrasion au sable. À ce stade appartiennent la plupart des constructions « vernaculaires » élevées dans le monde.


L’Égypte

L’architecture égyptienne elle-même n’a guère connu d’autres moyens. Selon une technique qui devait subsister jusqu’à l’emploi des explosifs, l’extraction consistait à faire éclater la roche en mouillant des coins de bois disposés dans une ligne de trous. La voie d’eau, puis une chaussée lubrifiée au limon permettaient le transport sur traîneau. Quant à la pose des blocs, elle était réalisée sur des massifs de briques crues, préformant les espaces intérieurs et accessibles par des rampes. Le ravalement des plafonds et des parois se faisait en même temps que la destruction progressive de ces massifs. En dépit de résultats spectaculaires, la construction égyptienne reste donc mégalithique, et ses performances sont comparables à celles de la préhistoire qui a, en terrain accidenté, transporté — parfois sur des dizaines de kilomètres — et dressé des blocs de 50 t et plus (v. tableau [3]), qui a même débité des arbres de 30 t pour établir un gué artificiel. Lorsque sont utilisés des arbres atteignant une dizaine de tonnes, comme ce sera le cas en Grèce ou dans les palais perses, et plus encore au Moyen Âge, on est en droit d’admirer l’organisation que suppose leur transport.

Si une possibilité de progrès existait en Égypte, c’était celle qui était fournie par les structures de briques, malheureusement périssables. Ici pas de problèmes d’extraction, de transport ou de levage, des délais d’exécution très courts ; seule demeurait la question du vide à franchir, résolue par des voûtes sans cintrage.


La Grèce et Rome

Au Ier millénaire av. J.-C., des voies nouvelles vont être ouvertes à la construction par deux acquisitions de la technique : d’abord l’outillage en fer, qui permet une exploitation plus rationnelle de la pierre ou du bois, débités désormais en petits éléments permettant des combinaisons variées à l’instar de la brique ; ensuite l’emploi d’engins de démultiplication des forces, tels que treuils, poulies, moufles, déjà utilisés dans la charpenterie navale et permettant un levage rapide et une pose précise. Le temple grec en est le résultat.

Au contact du monde oriental, des techniques des ingénieurs grecs et de la charpenterie celte, les Romains vont mettre au point à leur tour une formule originale, industrialisée. Leurs devanciers avaient connu la cuisson du plâtre, de la chaux, des briques, de la poterie et du verre. Les Romains vont combiner ces diverses techniques et les rationaliser. Le résultat en sera l’édification de ces basiliques et de ces thermes où la pierre de taille des façades, la concrétion des murs et des voûtes s’épaulant mutuellement, les enduits peints et les placages, les fenêtres garnies de verre, tout concourt pour la première fois à une définition moderne des problèmes constructifs ; en particulier une adduction d’eau contrôlée et le système de chauffage sur hypocauste, issu du four à sole des potiers.