Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

constitution (suite)

La révision des constitutions écrites

Il faut d’abord établir une distinction entre les dispositions relatives à l’organisation des pouvoirs publics qui ont un caractère proprement constitutionnel (elles figurent dans le texte même de la constitution unique ou dans celui des lois constitutionnelles lorsque, comme en 1875, il n’y a pas une constitution, mais des lois constitutionnelles) et celles qui n’ont qu’un caractère législatif ordinaire (c’est notamment le cas des lois électorales, en France, depuis 1875).

En Grande-Bretagne, les lois relatives aux pouvoirs publics et à leur fonctionnement — quand il en existe — sont des lois comme les autres, et le Parlement peut les modifier à son gré, le pouvoir législatif n’étant pas limité par une loi constitutionnelle rigide d’essence supérieure. Dans la plupart des pays où est pratiqué le système de la constitution rigide, les textes constitutionnels ne peuvent être modifiés ou abrogés que suivant les procédés qu’ils prévoient eux-mêmes expressément. C’est ainsi qu’en France la loi constitutionnelle du 4 octobre 1958 peut être modifiée suivant deux procédures normales prévues à l’article 89.

• La procédure normale de révision qui comporte la double opération suivante : a) adoption du même texte de révision par les deux Assemblées ; b) approbation de ce même texte par référendum.

• La procédure accélérée qui substitue au référendum la ratification du texte par le Parlement réuni en congrès (le bureau du congrès est celui de l’Assemblée nationale) dès lors que ce dernier réunit une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Il appartient au président de la République de décider du procédé de ratification. La révision d’octobre 1962 fut réalisée par référendum, celle de décembre 1963 par vote du congrès.

Aux États-Unis, les amendements à la Constitution fédérale doivent être votés à la majorité des deux tiers par chaque assemblée, puis ratifiés par les trois quarts des législatures des États fédérés. Dans certains de ces États, il a été prévu une révision périodique (tous les dix ou vingt ans) de la Constitution propre à cet État.

En U. R. S. S., un système intermédiaire entre la procédure rigide française et la procédure souple britannique a été adopté : le projet de révision est adopté par chacune des chambres du Soviet suprême à la majorité des deux tiers, alors que la majorité simple suffit pour l’adoption des lois ordinaires.

Il arrive également que certaines constitutions prétendent limiter d’une certaine façon les possibilités de révision ; c’est ainsi que l’article 89 de la Constitution française de 1958 stipule que la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision (cette disposition est reprise d’une modification, effectuée en 1884, des lois constitutionnelles de 1875) et qu’aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire (cette disposition est la conséquence de la défaite de 1940 et a pour objet d’interdire le retour à des procédures comme celles des actes constitutionnels du maréchal Pétain). Ces restrictions ont une valeur juridique certaine, mais ne peuvent, en fait, empêcher la réalité d’un coup d’État ou d’une révolution, dont les auteurs n’ont sans doute guère le souci de respecter les règles posées par leurs prédécesseurs.


La révision par l’usage ou le non-usage

Maurice Duverger s’interroge sur le point de savoir si « la coutume, l’usage, l’habitude peuvent modifier les constitutions écrites ». Sans doute, pendant longtemps, une grande partie de la doctrine a répondu par la négative du fait du principe général que la désuétude ne peut abroger les textes législatifs (on connaît cependant des lois qui ne sont jamais entrées en application parce que le gouvernement n’a jamais pris le règlement d’administration publique qu’elles prévoyaient expressément). En réalité, cependant, une importante marge sépare très souvent les constitutions écrites de leur application pratique, et « l’opinion publique n’a pas conscience d’une violation de la constitution et admet ces déformations coutumières, elle les incorpore en quelque sorte à la constitution ». De fait, les meilleurs auteurs ont toujours admis que le droit de dissolution avait disparu des lois constitutionnelles de 1875 du fait de soixante-quatre années d’inutilisation après la malheureuse tentative de Mac-Mahon. Il est certain qu’aux États-Unis aussi l’interprétation de la Constitution s’est sensiblement modifiée au cours des temps, notamment sous la présidence du second Roosevelt : c’est ainsi, notamment, que la minorité réactionnaire de la Cour suprême a préféré la démission de certains de ses membres plutôt qu’une modification constitutionnelle permettant au président de s’assurer, dans cet organisme, une majorité favorable à sa politique, jugée dérogative aux principes mêmes de la Constitution fédérale.

En France la question s’est posée à propos de l’élection au suffrage universel du président de la République (1962). Une majorité de juristes a estimé que la procédure adoptée par le général de Gaulle pour modifier les articles 6 et 7 de la Constitution avait été inconstitutionnelle, puisque son gouvernement et lui-même avaient soumis directement le projet de révision au référendum, en application de l’article 11 de la Constitution (« le président de la République, sur proposition du gouvernement, [...] peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics [...] »), au lieu de faire usage des procédures de l’article 89 analysées plus haut. Mais un grand nombre de juristes ont admis, par contre, que le succès du référendum et l’importante participation populaire à deux élections présidentielles successives avaient, en tout cas, couvert l’irrégularité si tant est qu’il y en avait eu une.