Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

concentration (camps de) (suite)

Pour les Allemands, la Schutzhaft deviendra, pendant douze ans, le seul statut juridique de ceux qui, échangeant dès la fin de 1933 leur appellation de prisonnier (Gefangener) contre celle de détenu (Häftling), deviendront les premières victimes de ce qu’on appellera le système concentrationnaire nazi. Après une période proprement allemande de 1933 à 1939, celui-ci s’étendra à l’ensemble des peuples conquis ou occupés par la Wehrmacht avant d’être utilisé à partir de 1942 comme réservoir illimité de main-d’œuvre au service de l’économie de guerre du Reich, puis de s’effondrer avec lui en 1945.


Les camps allemands de 1933 à 1939

C’est au cours de cette période que l’organisation concentrationnaire s’élabore comme une entreprise systématiquement ordonnée à ses buts et que sont mises à l’épreuve les structures qu’elle conservera jusqu’à sa disparition. Pour ses instigateurs — Göring, très vite supplanté par Himmler —, sa mission, d’ordre exclusivement politique, consiste d’abord à mettre totalement à l’écart, en les empêchant de nuire, tous les opposants d’action ou de pensée au régime. Mais le camp veut être aussi une œuvre de régénération pour remodeler de bons Allemands avec les récupérables, c’est-à-dire ceux qui ont été seulement abusés par des propagandes étrangères. Ce souci moralisateur, proclamé par les maximes affichées à l’entrée des KL, persistera comme un décor cyniquement plaqué sur les horreurs dont ils seront quotidiennement le théâtre.

Dans leur conception initiale, les camps de concentration sont donc étrangers à la notion d’extermination raciale, à la fameuse solution finale du problème juif, à laquelle ils prêteront seulement, si l’on ose dire, leur concours matériel avec les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau, Majdanek, Bełżec, etc. S’il n’y a pas d’israélites parmi les premiers détenus de Dachau, il n’empêche, comme le proclame Himmler, que « les camps ne sont ni des sanatoriums ni des pensions de famille ». Le régime y est très dur, et le caractère rigoureusement secret qui les entoure répand un certain sentiment de terreur dans toute la population allemande, tandis que la présence de détenus de droit commun dès septembre 1933 (Berufsverbrecher, ou criminels professionnels), mêlés aux détenus politiques, fait planer sur l’ensemble une équivoque sciemment entretenue. L’élimination des SA après le drame de la Nuit des longs couteaux (30 juin 1934) marque la fin de la période administrative des camps (où intervient encore la justice) et la mainmise totale et exclusive de Himmler et de la SS sur le système concentrationnaire, consacrée par le décret du 17 juin 1936. À cette date, le nombre des détenus est estimé à près de 5 000, dont 3 700 politiques. Une inspection des camps, relevant du Reichssicherheitshauptamt (RSHA), est installée en juillet 1936 près de Berlin, au KL d’Oranienburg, qui s’affirmera comme le quartier général du système. Après la dissolution des petits camps initialement confiés aux SA, elle règne sur ceux de Sachsenhausen et de Dachau, auxquels s’ajoute en 1937 celui de Buchenwald, qui, prévu pour 6 000 détenus, doit « correspondre à des besoins du temps de guerre ».

L’annexion de l’Autriche, qui se traduit par l’arrivée des premiers détenus étrangers (résistants autrichiens) à Dachau et à Buchenwald, entraîne la création, en 1938, du camp de Mauthausen près de Linz, suivie de celles de Neuengamme, puis d’un camp réservé aux femmes à Ravensbrück, où les 867 premières détenues arrivent le 13 mai 1939.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la machine concentrationnaire est déjà très au point. Accentuant encore le caractère exorbitant de la détention préventive, la loi du 25 janvier 1938 précise que la mise en Schutzhaft appartient exclusivement à la Gestapo et se traduit automatiquement par l’envoi en camp de concentration pour une durée illimitée. À l’intérieur des KL, les règlements se précisent, avec leur tarif de punition allant de la cellule obscure au pain et à l’eau à la bastonnade de 25 coups et prévoyant la mort pour tout détenu jugé coupable de révolte ou de sabotage. Si la direction et la garde des camps appartiennent aux SS, ceux-ci ont soin de déléguer leurs pouvoirs à l’intérieur du camp à une hiérarchie choisie parmi les détenus. Elle leur permet de faire exécuter les basses œuvres par personnes interposées tout en semant haine et divisions dans le monde clos de leurs victimes. Les élus de cette deuxième chaîne hiérarchique, Blockältester et Kapo (Blockowa et Stubowa chez les femmes), sont le plus souvent des détenus de droit commun, les fameux triangles verts ; en dépit de leur puissance apparente, ils ne sont jamais à l’abri de la violence des SS, qui va parfois jusqu’à leur exécution. Toutefois, le système, qui n’en est qu’à ses débuts, ne s’identifie pas encore à une entreprise d’extermination : la survie des détenus est considérée comme possible. De nombreux internements sont encore prononcés à terme ; des libérations interviennent, comme en 1936 celle du grand journaliste Carl von Ossietzsky, arrêté en 1933 et prix Nobel de la paix en 1935.

On notera enfin que, dès cette époque, l’administration centrale des SS (Wirtschaftsverwaltung Hauptamt, WVHA) est une véritable puissance financière qui, vis-à-vis du monde extérieur, se présente sous la forme d’anodines entreprises industrielles. La première semble être en 1937 la Deutsche Erd- und Steinwerke (Usine allemande de terres et de carrières), qui est chargée, avec la main-d’œuvre des détenus, de construire les nouveaux camps. Ces entreprises SS camouflées en sociétés à responsabilité limitée (provenant souvent de biens juifs séquestrés) se multiplieront au cours de la guerre.


1939-1942
L’extension à l’Europe du système concentrationnaire

L’entrée en guerre du IIIe Reich ne pouvait manquer d’influer sur le monde concentrationnaire. Sur le plan intérieur allemand, les libérations cessent à peu près totalement, les « récupérables » étant désormais internés dans des camps spéciaux au régime moins rigoureux, les Arbeitserziehungslager (camp d’éducation par le travail), souvent jumelés à des KL (par exemple au Stutthof, à Buchenwald, à Flossenbürg), dont l’existence se trouve ainsi doublement camouflée. Du même fait s’accentue le caractère répressif des KL et s’annonce leur coopération à l’œuvre d’extermination des ennemis du Reich. Dès le 1er septembre 1939, Hitler ne lui donne-t-il pas le coup d’envoi en autorisant l’euthanasie des incurables, c’est-à-dire de « tous ceux qui, par incapacité physique ou raciale, ne peuvent ou ne doivent pas contribuer à l’effort de guerre du Reich et qui doivent cesser de grever son budget et son espace ».