Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

concentration (suite)

Tout en reconnaissant la nécessité d’une concentration de la production, les auteurs soviétiques s’élèvent contre une maximalisation de la concentration. C’est une optimalisation de la concentration et non sa maximalisation qui doit être recherchée. La dimension optimale de l’entreprise doit permettre la satisfaction des besoins et la livraison des produits aux lieux de consommation avec le minimum de dépenses de production. D’où la nécessité de l’étude des diverses variantes des investissements, compte tenu du temps nécessaire entre la réalisation de l’investissement et son rendement effectif. Une concentration de la production ne répond donc plus à l’optimum si les investissements complémentaires et une intensité accrue du capital ne sont pas accompagnés d’une hausse de la productivité du travail et d’une baisse des coûts.

Un accord total se manifeste également pour condamner ce que l’on appelle le gigantisme, défini comme un agrandissement des équipements et des entreprises qui réduit peu ou pas du tout le coût de la production et provoque un allongement du délai de récupération des investissements additionnels. Si le gigantisme a été condamné par le parti à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il n’a pas été éliminé pour autant. Plusieurs auteurs soviétiques insistent sur le fait qu’il se manifeste non seulement dans l’industrie mais aussi dans les services, avec l’ouverture dans des villes peu importantes de grands magasins à six étages où toute la population est pratiquement obligée de se rendre. L’objection la plus importante que l’on adresse à l’encontre de la pratique de la concentration des entreprises est qu’elle n’est pas accompagnée d’un effort de spécialisation. On aboutit ainsi à la création d’entreprises universelles qui représentent en fait une union forcée et artificielle de plusieurs entreprises souvent techniquement arriérées. Un tel regroupement possède non seulement tous les ateliers pour sa production finale, mais aussi des ateliers ayant un rapport lointain avec la production principale. La concentration des entreprises se substitue ainsi à la concentration de la production. Les « entreprises universelles » ne seraient donc pas en réalité de grandes entreprises, mais des conglomérats de petits et tout petits ateliers. Toutes les comparaisons avec les États-Unis se trouvent donc faussées, les petites entreprises américaines étant fortement spécialisées (surtout dans les industries mécaniques) et le processus de concentration étant en réalité beaucoup plus poussé dans ce pays que cela n’apparaît dans les statistiques sur les dimensions des entreprises.

Il semble, toujours d’après Eugène Zaleski, qu’indépendamment des préférences idéologiques le système de planification administrative, tel qu’il a été pratiqué en U. R. S. S. depuis 1930, ait eu tendance à favoriser la construction et la constitution de grandes entreprises. Les bureaux d’étude et de projets recevant des directives en vue de réaliser un accroissement de la production sur une période de 5 ou 10 ans, il paraît plus facile à ces bureaux d’obtenir, au moins sur le papier, un tel résultat dans de grandes entreprises, mais les critères employés par les bureaux d’étude et de projets ne sont pas ensuite corroborés par les faits.

Les ministères favorisent également les grandes entreprises, étant donné qu’il leur est plus facile d’administrer, de contrôler un nombre plus restreint de grandes unités dans le cadre d’un système étroitement centralisé. La même attitude est souvent adoptée par les dirigeants des commissions du plan d’État. Il n’est donc pas étonnant que des économistes soviétiques aient pu conclure que le système compliqué de planification, de gestion et de contrôle qui caractérise l’industrie étatique est incompatible avec la petite production.

À l’heure actuelle, la concentration des entreprises serait justifiée par la nécessité de créer des entités économiques suffisamment grandes pour qu’elles puissent être sensibles à l’action des stimulants économiques : bénéfices, rentabilité, primes, crédits. Seules les grandes entreprises disposeraient, selon cette conception, d’assez de moyens pour introduire de nouvelles techniques, entreprendre des travaux de recherche et de projets, appliquer des méthodes mathématiques et utiliser les calculatrices électroniques ainsi que pour réaliser des bénéfices suffisants pour stimuler les travailleurs.

Dans la littérature économique récente, le renforcement de la spécialisation n’est plus toujours considéré comme un élément décisif. Puisque la maximalisation des ventes peut apporter le profit le plus élevé, il est intéressant pour l’entreprise de pouvoir modifier la nomenclature de sa production en fonction de la demande. Les facteurs technologiques ainsi que la localisation perdent donc leur prépondérance. Il faut aussi tenir compte des facteurs sociaux. Certains ingénieurs et techniciens évitent de travailler dans des usines petites ou trop spécialisées, les grandes entreprises leur offrant des possibilités de carrière supérieures et des conditions culturelles et sociales meilleures.

Les réformes économiques mises en chantier en 1960 et les « expériences économiques » qui les ont précédées ont également introduit des changements dans les formes de concentration : aux formes traditionnelles, construction et agrandissement des entreprises géantes, constitution des trusts et combinats, s’est ajoutée, dès 1961, la nouvelle forme des unions de productions.

D’après les estimations occidentales, il y avait en 1958 quelque 650 entreprises industrielles soviétiques employant plus de 5 000 personnes ; ce nombre serait passé à 700-720 en 1960. Parmi ces entreprises, certaines, comme l’usine d’automobiles Likhatchev de Moscou, étaient des entreprises géantes, employant 40 000 personnes et produisant 400 à 500 camions par jour, 1 500 à 1 600 bicyclettes, 300 à 400 réfrigérateurs et 15 à 25 autobus. Parmi les autres usines géantes, il faut citer celle des voitures automobiles de Gorki (GAZ), celle de matériel électrique de Moscou, les usines d’avions, de tracteurs, etc. Chacune de ces entreprises fournit une importante part des produits de sa branche et est souvent directement subordonnée à l’appareil dirigeant de celle-ci. La direction d’une telle entreprise géante centralise les fonctions d’approvisionnement, de vente, de planification, de gestion du personnel, de l’organisation du travail, etc. En réalité l’unité de base est constituée par l’« atelier usine », l’entreprise géante devenant en fait une union de production chargée d’assurer certaines fonctions communes aux « ateliers usines » (approvisionnement, vente, relations avec les organes supérieurs dans le domaine de la planification). Ce sont de telles formes de concentration qui, depuis 1961, ont été encouragées, dans un souci d’améliorer la gestion par une meilleure répartition des tâches entre les ateliers et les services. Certaines de ces unions réalisent une décentralisation de la production puisqu’elles regroupent des entreprises qui gardent en propre leur personnalité juridique.

Mais il arrive plus souvent que la centralisation de la gestion soit l’objectif poursuivi.