Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Comte (Auguste)

Philosophe français (Montpellier 1798 - Paris 1857).


Secrétaire de Saint-Simon de 1817 à 1819, il découvre la politique et la science sociale et écrit à partir de 1822 ses premières œuvres, où l’on trouve déjà les grands thèmes de sa philosophie. En 1826, après une crise mentale pendant laquelle il tente de se suicider, il élabore la première synthèse de sa pensée dans le Cours de philosophie positive, publié de 1830 à 1842. La seconde période, riche en productions théoriques, s’étend de 1849 à 1857 et débute par une grande crise sentimentale qui influe sur le développement de sa pensée dans la dernière partie de sa vie : l’amour pour une jeune femme malade rencontrée en 1844 et décédée en 1846, Clotilde de Vaux.

On appelle souvent positivisme l’ensemble de la pensée d’Auguste Comte, bien que sa forme ultime n’ait plus grand-chose à voir avec la méthode définie en 1817 et élaborée jusqu’en 1842. Il convient donc de distinguer la méthode positive du système positiviste tel qu’on le trouve par exemple dans le Catéchisme positiviste de 1852.


La classification des sciences ; la sociologie ; les trois états

Plutôt qu’une méthode particulière, le positivisme est l’application aux sciences sociales et politiques des méthodes utilisées jusque-là dans les sciences positives (mathématiques et sciences expérimentales). Le développement inégal des différentes branches du savoir universel ne doit pas cacher l’homogénéité qui existe en fait entre les sciences : partant de la division entre les corps bruts et les corps organisés, Comte propose une classification des sciences selon un ordre de complexité croissant : astronomie, physique, chimie, physiologie végétale et animale, physique sociale, qu’il appellera plus tard sociologie. Quant aux mathématiques, elles constituent la base de toutes les sciences. Cette classification est loin d’être originale, et l’apport de Comte ne consiste pas dans l’idée (classique depuis Aristote) de dresser un tableau hiérarchique des parties du savoir, mais dans celle d’accorder à la science politique et sociale la dignité des sciences d’observation ; c’est dans ce sens qu’on a pu dire que Comte est le fondateur de la sociologie. Il écrit : « J’entends par physique sociale la science qui a pour objet propre l’étude des phénomènes sociaux, considérés dans le même esprit que les phénomènes astronomiques, physiques, chimiques et physiologiques, c’est-à-dire assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte est le but spécial de ses recherches. » (Opuscules de philosophie sociale, 1819-1826.) Or, là encore, le développement de l’esprit est inégal dans les divers domaines du savoir, mais cette inégalité n’est pas arbitraire : ce sont les sciences les plus générales, comme l’astronomie ou la physique, qui ont atteint les premières le stade positif ; en fait, le développement de l’esprit humain est constant, et les étapes de son progrès inévitables. Toute science, toute connaissance passe nécessairement par trois états ou trois stades successifs : théologique, métaphysique et positif. « Ces trois états se succèdent nécessairement suivant un ordre fondé sur la nature de l’esprit humain. La transition de l’un à l’autre se fait d’après une marche dont les pas principaux sont analogues pour toutes les sciences, et dont aucun homme de génie ne saurait franchir aucun intermédiaire essentiel. Au stade théologique, l’esprit cherche l’explication des phénomènes qui l’entourent dans des forces supérieures, douées d’existence indépendante et personnelle : esprits, génies, dieux plus ou moins anthropomorphes. Au stade métaphysique, des entités abstraites sont substituées aux êtres personnels du stade précédent ; la recherche des causes devient la recherche de ce qui est en soi, ne dérive de rien, mais dont toutes choses dérivent : l’absolu, l’Être, Dieu. Lors de ces deux premiers stades, l’esprit humain est également orienté vers la recherche de l’origine, des causes premières et des causes finales ; toute connaissance est connaissance absolue de l’essence des phénomènes ; mais l’impossibilité de saisir le réel dans son objectivité condamne l’esprit théologique comme l’esprit métaphysique à l’incertain et à l’inutile. Seul l’esprit positif représente une véritable mutation de l’esprit, aussi bien dans l’objet de la recherche que dans la méthode. Au stade positif, l’esprit renonce à la connaissance de l’absolu et lui substitue celle du relatif, c’est-à-dire des relations et des lois qui régissent les phénomènes qui nous entourent [...].

La philosophie universelle sera donc synthèse des connaissances relatives ; contre le dogmatisme de l’ancienne pensée qui ne pouvait subsister que par la destruction et la négation : l’esprit contre la matière, l’âme contre le corps, le vrai contre le faux, la pensée nouvelle est positive d’abord parce qu’elle vise l’harmonie, l’organisation, la construction [...]. On emploie le mot positif comme le contraire de négatif. Sous cet aspect, il désigne l’une des plus éminentes propriétés de la vraie philosophie moderne, en la montrant destinée surtout, par sa nature, non à détruire mais à organiser. »


La synthèse positiviste

Comte ne fonde pas seulement une méthode universelle d’analyse et de connaissance, il pose également la possibilité d’une synthèse de toutes les branches du savoir dans une philosophie universelle : « La vraie philosophie se propose de systématiser autant que possible toute l’existence humaine individuelle et surtout collective, contemplée à la fois dans les trois ordres de phénomènes qui la caractérisent, pensées, sentiments et actes. » On le voit : le stade positif est un moment du progrès de la pensée vers le savoir, et aussi l’avènement d’un état de synthèse entre les différents niveaux relatifs de l’existence humaine. Cependant, la pensée de Comte n’est pas dialectique : la synthèse n’est pas un dépassement ou une solution de contradictions, une « négation de la négation ». Au contraire, c’est dans le même temps qu’elle opère sur le relatif que la pensée positive est synthétique. En fait, les deux significations du terme positif voisinent sans que soient repérables un passage ou une articulation : il y a glissement de sens. En effet, d’une part, le positif est le réel et le relatif, par opposition au chimérique et à l’absolu ; d’autre part, le positif est le synthétique par opposition au négatif. D’un sens à l’autre, c’est tout le mouvement de la pensée de Comte et son ambiguïté qui se révèlent : l’esprit positif ne pourrait pas à la fois bannir l’idée d’absolu et se donner pour tâche ultime l’instauration de la philosophie universelle ainsi définie. Il y a donc un glissement dans la pensée de Comte entre les deux grandes périodes créatrices.