complémentarité (principe de) (suite)
On peut alors montrer que le produit Δx . Δpx calculé par la théorie est toujours plus grand ou du même ordre de grandeur que la constante universelle ℏ (égale à la constante de Planck h divisée par 2π). On démontre évidemment des relations analogues avec les autres coordonnées :
• Relation d’incertitude temps-énergie. Elle s’écrit de manière très analogue entre l’incertitude ΔE sur l’énergie du système atomique et un intervalle de temps Δt qui caractérise son évolution : Sans chercher à définir de manière générale cet intervalle de temps Δt, disons que, le plus souvent, il représentera soit l’incertitude sur l’instant de passage de la particule en un point donné, soit la durée d’existence sans changement notable du système atomique.
Ces relations d’incertitude, établies théoriquement à partir des principes de la mécanique quantique, bouleversent les habitudes de pensée acquises en mécanique classique, et elles donnèrent lieu dans le monde scientifique à une importante controverse. Au cours de ces discussions, les physiciens essayèrent d’imaginer des expériences très subtiles qui eussent permis de mesurer la position x et l’impulsion px d’une particule avec toute la précision souhaitée, en contradiction avec les relations d’incertitude. Dans tous les cas, une description approfondie du dispositif expérimental proposé et une analyse précise de ses conditions de fonctionnement ont montré qu’il ne permettait de mesurer simultanément la position x et l’impulsion px de la particule qu’au prix d’incertitudes Δx et Δpx obéissant effectivement à la relation d’incertitude. C’est-à-dire qu’on peut calculer l’une des variables avec une certitude totale ou la mesurer avec une précision infinie à condition seulement de renoncer complètement à calculer ou à mesurer l’autre. Il semblerait alors que la physique quantique soit incapable de décrire complètement les phénomènes atomiques.
C’est en réfléchissant à la signification épistémologique de ces lois nouvelles que Bohr fut conduit à préciser le concept de complémentarité. Il mit l’accent sur l’impossibilité de toute séparation nette entre le comportement des objets atomiques et leur interaction avec les instruments de mesure permettant leur observation. L’objet atomique et l’instrument de mesure forment un tout indivisible qui définit le phénomène physique.
Si nous modifions l’instrument de mesure, nous modifions le tout indivisible instrument-objet et nous modifions donc le phénomène observé, qui correspond alors à une description différente. La théorie quantique permet de calculer complètement les résultats obtenus dans n’importe quelle expérience dont on a précisé le dispositif instrumental. En ce sens, elle fournit bien une description complète des phénomènes physiques, mais il est essentiel que le dispositif instrumental soit inclus dans la description des phénomènes. Elle ne permet pas de parler des propriétés d’un objet atomique dans l’absolu, mais elle indique seulement comment celles-ci se manifestent en interaction avec tel ou tel instrument d’observation.
Un instrument quelconque permettant de définir sans ambiguïté la position x d’une particule, par exemple, exclut toute possibilité de déterminer son impulsion px. Nous devons utiliser un autre instrument et une autre description des phénomènes pour mesurer sans ambiguïté cette impulsion px. Aucune de ces deux descriptions, correspondant à l’expérience de mesure de x ou à l’expérience de mesure de px, ne rend compte de la totalité des informations qu’il est possible d’obtenir sur la particule, mais chacune d’elles apporte un complément aux informations fournies par l’autre. C’est en ce sens que les variables x et px sont dites « complémentaires ».
Cette notion de complémentarité permet de mieux comprendre la dualité des propriétés ondulatoires et corpusculaires, si caractéristique des phénomènes atomiques. Les propriétés corpusculaires d’un système physique correspondent à la possibilité de localiser ce système en un endroit précis à un instant déterminé. Les propriétés ondulatoires signifient, au contraire, une dispersion du phénomène dans une large région de l’espace. Et ces deux classes de propriétés peuvent, à première vue, sembler contradictoires ; elles sont en fait complémentaires. Ce sont les unes ou les autres que l’on met en évidence suivant le type des dispositifs instrumentaux auxquels on fait appel. Toutes les expériences classiques de l’optique ondulatoire (interférences, diffraction), par exemple, mettent en évidence les propriétés ondulatoires du rayonnement électromagnétique ; ce sont d’autres expériences (effet photoélectrique, effet Compton) qui mettent en évidence les propriétés corpusculaires du même rayonnement et conduisent à parler de photons. On peut dire que ces deux classes d’expériences sont complémentaires.
B. C.
N. Bohr, Physique atomique et connaissance humaine (trad. du danois, Gauthier-Villars, 1961).