Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Comnènes (les) (suite)

Pour châtier les Francs de Syrie, qui ont profité de la mort de son père pour attaquer l’Empire, il envoie ses généraux ravager la principauté d’Antioche, cependant que lui-même combat le sultan d’Iconium, dont les bandes s’infiltrent dans les possessions asiatiques de l’Empire et menacent les voies de communication avec la Cilicie et la Syrie (1144-1146). Ces combats incertains ne modifient pas le rapport des forces, et les deux adversaires font la paix en 1147, car ils se sentent également menacés par la nouvelle croisade occidentale.

Le promoteur en a été le roi de France Louis VII ; la prédication ardente de Bernard de Clairvaux a entraîné dans son sillage l’empereur d’Allemagne Conrad III de Hohenstaufen dont Manuel a, en 1146, épousé une belle-sœur. Pour Byzance, l’entreprise est des plus désagréables : en renforçant les effectifs des Latins, elle compromet la conquête projetée de la Syrie franque, et l’absence de Conrad laisse les coudées franches au roi de Sicile Roger II contre l’Empire. À quoi s’ajoute le danger toujours latent d’un coup de main contre Constantinople, où les croisés doivent se concentrer. L’expédition tourne court : les troupes allemandes, décimées par la famine, sont défaites par le sultan d’Iconium, et Louis VII abandonne son armée.

Mais, à l’ouest, la croisade est mise à profit par les Normands : Roger II s’empare de Corfou, attaque la Grèce, soutient les Serbes et les Hongrois, et monte une vaste coalition antibyzantine. La mort de Conrad III (1152) prive Manuel d’un allié, car son successeur, Frédéric Barberousse, s’oppose aux prétentions universalistes du basileus. Profitant de la mort de Roger II (1154), Manuel lance une expédition contre l’Italie, et ses généraux enlèvent rapidement toute l’Apulie. Cette conquête, qui menace les intérêts aussi bien de Venise que de l’Allemagne, est sans lendemain : laissée à elle-même, Byzance ne peut résister à la contre-offensive de Guillaume Ier de Sicile et doit évacuer l’Italie après avoir signé un traité de paix en 1158.

Cette défaite humiliante est compensée par des succès en Orient : le dynaste arménien de Cilicie fait sa soumission (1158), et Antioche, où Manuel entre solennellement en 1159, reconnaît la suzeraineté de l’Empire. Le sultan d’Iconium accepte la paix (1161). Ce répit est mis à profit par Manuel pour intervenir dans les affaires intérieures de Hongrie, qu’il rêve d’incorporer à son empire, et faire main basse sur la Dalmatie, la Croatie et la Bosnie, cependant qu’il fiance l’héritier du trône de Hongrie à sa fille Marie. Manuel concentre ensuite ses forces contre la Serbie, qui manifeste son désir d’indépendance par des soulèvements incessants : une puissante armée byzantine amène à résipiscence le joupan rebelle Étienne Nemanja (1172).

Les relations avec Venise, déjà sérieusement refroidies, cessent en 1171.

Les dix dernières années du règne de Manuel sont une succession de revers. La collaboration avec la papauté contre Barberousse se révèle vaine. En Orient, le sultan d’Iconium, encouragé par l’empereur d’Allemagne, rouvre les hostilités, et la grande riposte militaire organisée par Byzance se solde par un désastre : le 17 septembre 1176, l’armée byzantine est détruite par les Turcs dans les défilés de Myrioképhalon, en Phrygie, et l’empereur n’échappe à la captivité que par la fuite.

Quand Manuel meurt, l’Empire est saigné à blanc.


La ruine intérieure

À la mort de Manuel (1180), la couronne échoit à son fils Alexis II Comnène, un garçon de douze ans, qui a épousé l’année même une fille de Louis VII, Agnès de France. Sa mère, Marie d’Antioche, assure la régence. Une politique ouvertement latinophile et des mesures maladroites lui aliènent toutes les classes de la société, dont le mécontentement se manifeste par de nombreuses conjurations.

L’estocade décisive est portée par un cousin sexagénaire du basileus défunt, l’ambitieux Andronic Comnène (de 1182 à 1185). Avant de lui ouvrir les portes, la populace de la capitale se rue sur les Latins et assouvit dans un affreux bain de sang (mai 1182) cent années de haines accumulées. L’usurpateur se pose d’abord en protecteur du petit basileus, envoie au supplice tous ses adversaires et est couronné coempereur en septembre 1183. Après quoi, il fait étrangler son jeune associé et épouse sa veuve, âgée de douze ans. Souverain despotique et cruel, Andronic n’en a pas moins de grandes qualités d’homme d’État et il a à cœur d’extirper les abus dont souffre le menu peuple : la noblesse est frappée avec une rigueur implacable, l’administration réformée, la justice assurée sans aucune partialité, la conduite des fonctionnaires du fisc étroitement surveillée. Mais ces objectifs ne sont atteints qu’au prix d’un régime de délation et de terreur : le basileus étouffe dans le sang la moindre tentative de révolte et éclaircit sans merci les rangs de l’aristocratie. Comme cette dernière constitue l’armature militaire de l’État, celui-ci se trouve brusquement impuissant devant les dangers extérieurs. Les Serbes et les Hongrois envahissent l’Empire et détruisent Belgrade, Niš et Sofia ; Chypre fait défection, et des révoltes éclatent en Bithynie. Mais l’attaque décisive vient du côté des Normands : débarqués à Dyrrachium (juin 1185), ils se dirigent sans encombre sur Thessalonique, qui tombe entre leurs mains (août). Pour venger le précédent massacre des Latins de Constantinople, ils réservent à ses habitants les supplices les plus cruels. Puis l’armée normande marche sur la capitale. Alors, l’orage longtemps contenu éclate (sept. 1185) : Andronic tombe aux mains de ses ennemis, et son corps, déjà affreusement mutilé, est torturé de la manière la plus bestiale par la foule. Le fils aîné d’Andronic Ier, Manuel, sera l’ancêtre des empereurs de Trébizonde*, dits les « Grands Comnènes ».

P. G.

➙ Byzantin (Empire).

 A. Chalandon, les Comnènes, t. II : Jean II Comnène et Manuel Ier Comnène (Picard, 1912). / F. Cognasso, Partiti politici e lotte dinastiche in Bizanzio alla morte di Manuele Comneno (Turin, 1912). / O. Jurewicz, Andronik I Komnenos (en polonais, Varsovie, 1962).