Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

communisme (suite)

Le retrait de l’aide économique et technique soviétique à la Chine et le XXIIe Congrès du parti communiste soviétique en 1961. Ces deux événements détériorent définitivement la situation. Deux ans plus tard, au printemps 1963, s’ouvre un long échange de lettres publiques entre les deux partis, où sont consignées les positions respectives qui définissent la scission du mouvement communiste international.

• La réalité des divergences à la date de la rupture et leur aggravation. En 1963-64, le processus de scission devient de part et d’autre irréversible. Les Chinois en tirent immédiatement la conséquence pratique ; estimant qu’ils ne peuvent plus contrecarrer de l’intérieur les orientations du mouvement communiste international décidées par les Soviétiques, ils exposent en quelques mois leur point de vue public sur le débat, appellent à la révolution dans les pays d’obédience soviétique, à la création de nouveaux partis communistes partout dans le monde.

Du conflit désormais ouvert, il faut retenir deux débats majeurs.

• Le débat sur la politique internationale. La coexistence pacifique et la guerre thermonucléaire. Le principe de la coexistence* pacifique énoncé par Lénine consiste à éviter un conflit armé direct avec les pays capitalistes, principalement les États-Unis, par l’établissement d’une défense nationale fortement dissuasive et par le soutien actif aux luttes de libération nationale, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, par l’appui aux combats dans les pays capitalistes eux-mêmes, dans le dessein de les miner de l’intérieur comme dans leurs positions internationales.

Depuis 1956, les Soviétiques soulignent que tout a changé avec l’apparition de l’arme nucléaire. « La bombe atomique n’observe aucun principe de classe. » Dans ces conditions, ils mettent l’accent sur les dangers des luttes de libération nationale : « Une petite guerre locale quelconque risque d’être l’étincelle qui allumerait la guerre mondiale. » Une telle guerre serait un désastre pour l’humanité tout entière, qu’il faut à tout prix, quelque sacrifice que cela comporte, éviter. Parallèlement, les Soviétiques étendent de façon nouvelle le principe de la coexistence pacifique en maintenant que la victoire du socialisme dans la compétition économique pacifique « équivaudra à porter un coup écrasant à tout le système des rapports capitalistes ».

Sur la question de la guerre thermonucléaire, les Chinois ripostent par les arguments de la tradition marxiste, en taxant les Soviétiques de révisionnisme. Leur position, disent-ils, revient à falsifier les termes de l’analyse marxiste-léniniste de la question de la guerre en attribuant à un phénomène technique, la bombe atomique, un pouvoir déterminant.

L’utilisation de la bombe dépend du rapport de force politique. D’où une conclusion inverse à celle des Soviétiques quant aux luttes de libération nationale. Celles-ci renforcent le camp socialiste et affaiblissent le camp capitaliste. La seule manière d’empêcher la guerre nucléaire est — dans la mesure où l’impérialisme l’engendre inéluctablement — de renforcer et de soutenir activement les luttes des peuples du tiers monde. Par ailleurs, l’acquisition de l’arme atomique par les pays communistes et leur capacité technique de riposte analogue rend peu concevable l’éventualité du déclenchement de la guerre nucléaire. Au cas, bien improbable, d’une telle guerre, celle-ci ruinerait définitivement le capitalisme.

Le passage pacifique au socialisme. C’est, pour les Soviétiques, la conséquence directe du nouvel état de choses. Leur thèse est ici que, dans les pays « avancés » au moins, il est possible de renverser pacifiquement le capitalisme.

Les Chinois, bien au contraire, estiment que, sur ce plan, rien n’a fondamentalement changé. Les pays capitalistes disposent toujours d’un appareil d’État pourvu d’une police et d’une armée puissantes. Tant qu’il en sera ainsi, ils n’hésiteront pas à en faire usage contre une révolution, laquelle ne pourra donc vaincre que si elle leur oppose sa propre force armée.

Ces divergences en matière internationale se sont aggravées après la scission, au point de devenir le thème majeur de l’hostilité sino-soviétique. Les Chinois n’ont cessé de dénoncer la politique soviéto-américaine de partage du monde ; les Soviétiques ont proclamé en 1970 la menace d’une agression militaire chinoise.

L’U. R. S. S. mène en effet une politique de grande puissance : très soucieuse de sa position internationale, elle a d’abord maintenu des positions indiscutées en Europe de l’Est. À travers le Comecon, Khrouchtchev avait expliqué les bienfaits de la « division internationale du travail » (les démocraties populaires produisant essentiellement des matières premières et l’U. R. S. S. des produits finis), qui avait eu pour conséquence immédiate de renforcer la dépendance économique des pays membres par rapport à l’U. R. S. S.

Seule la Roumanie avait alors manifesté son opposition. Les successeurs de Khrouchtchev, L. Brejnev et A. Kossyguine, ont fait un pas de plus en exposant que les pays socialistes n’avaient qu’une « souveraineté limitée ». Ainsi justifient-ils l’intervention militaire en Tchécoslovaquie (1968).

En dehors de son camp, l’U. R. S. S. recherche des positions économiques et militaires, le plus souvent sous la forme d’aide économique et militaire, en Inde, en Indonésie, en Algérie, en Libye, en Égypte, en Syrie et en Iraq. En retour de cette aide, elle obtient des profits substantiels, voire l’autorisation d’installer des bases militaires ou sa flotte dans les eaux territoriales de ces pays, quand ce n’est pas la possibilité de leur dicter leur politique.

D’autre part, elle multiplie les entretiens, les accords (en particulier sur la limitation de l’armement nucléaire) et les démarches diplomatiques avec les États-Unis pour rechercher des solutions diplomatiques aux conflits les plus graves afin de maintenir le statu quo.

La justification soviétique de cette politique est double ; il s’agit, d’une part, de sauvegarder la défense et les intérêts du camp socialiste, et, d’autre part, de faire pièce à l’expansion américaine.

Pour les Chinois, le développement de cette politique fait de l’U. R. S. S. un État impérialiste comme les autres, qui ne diffère en rien des États-Unis. Le « social-impérialisme » russe est devenu l’indéfectible complice du « gendarme des peuples », l’impérialisme américain, vivant l’un et l’autre de l’exploitation des peuples qu’ils dominent.