Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

commune médiévale (suite)

Origines

Cette nécessité de se lier par un serment d’asseurement collectif, dont les bourgeois tirent le nom même de jurés, s’explique par le sentiment qu’éprouvent ces derniers de posséder des intérêts analogues, qui ne peuvent être défendus que collectivement contre les détenteurs de l’autorité.

En fait, ce sentiment n’a pu naître que d’une longue habitude de vivre et de travailler ensemble, dont la condition première est la renaissance urbaine. Celle-ci est le fruit d’une activité économique en plein essor qui se manifeste dès la fin du xe s., soit autour d’un castrum ou d’un lieu de pèlerinage nouveau, soit sur le pour-tour des villes anciennes où se développe une nouvelle agglomération (vicus, portus, burgus), bientôt unie au noyau urbain primitif par une enceinte commune.

Ce réveil urbain débute à la fin du xe s. en Lombardie, à l’aube du xie s. en Toscane et en Rhénanie, entre 995 et 1050 dans les Pays-Bas et la France du Nord, et seulement entre la fin du xie s. et le milieu du xiie s. en Angleterre et dans la France du Centre ainsi que dans les pays danubiens et baltiques. Il est le fruit du « brassage considérable des habitants », dont Robert Fossier remarque qu’il est conditionné par la division et la diversification du travail artisanal et commercial en ville, génératrices de discriminations sociales, puis politiques.

Reposant sur la juxtaposition d’un élément militaire ou nobiliaire et d’un élément ecclésiastique étoffé d’une importante familia de domestiques et d’artisans, la structure sociale urbaine primitive se trouve déséquilibrée par l’afflux de nombreux immigrés, qui renforcent les effectifs des métiers mais en abaissent la compétence technique et le niveau de vie moyen. En outre, cet afflux humain favorise même la constitution de groupes d’oisifs, voire de révoltés contre l’ordre établi, au sein duquel certains d’entre eux ne peuvent s’insérer professionnellement faute de qualification préalable, à l’heure même où en Italie l’élément nobiliaire se renforce de la venue en ville de seigneurs fonciers qui prétendent participer pleinement à l’activité économique urbaine avec l’aide de leurs dépendants.

Ainsi se trouve favorisée la constitution de groupes sociaux entre lesquels les rapports de force numériques et économiques varient selon les régions, mais dont la conjonction, du moins momentanée, des intérêts facilite la naissance d’associations urbaines. Naturellement, les plus puissantes tentent d’arracher l’administration de leur ville à une autorité contestée : celle de l’évêque, en partie extérieure et par là même impatiemment supportée ; celle de la noblesse comtale fortement implantée en milieu rural ; enfin, celle des agents et vassaux de l’évêque (vice dominici, visconti, avvocati), qui, en Italie, résident en ville où ils possèdent de nombreux fiefs et domaines fonciers. Groupée en puissantes communautés familiales ou de voisinage dont la cohésion est soulignée par la possession de maisons fortifiées surmontées d’une tour aux allures de donjon, cette aristocratie domine les villes cisalpines et anime à son profit le mouvement communal qui y prend naissance.

À l’ouest et au nord des Alpes, le retrait, la carence ou l’élimination des agents de l’autorité publique souligne, encore plus nettement, l’isolement de la ville et provoque la réunion des groupes sociaux urbains en associations de paix visant à affirmer leur cohésion face à celle des milieux ruraux.


Caractères de la commune

Qu’elle soit native ou octroyée par affranchissement, la liberté est le premier facteur de cette cohésion urbaine dont est sorti le mouvement communal. Le second est la résidence, ainsi qu’en témoignent d’innombrables documents urbains qui ne reconnaissent la qualité de civis en Italie, de burgensis en France et en Allemagne qu’aux personnes qui séjournent au moins trois mois dans la ville et qui sont au minimum âgées de dix-huit ans. Ces conditions d’admission à la bourgeoisie, exigées au moins depuis le ixe s. en Italie et en Catalogne, sont imposées aux habitants des villes de l’Europe du Nord-Ouest au cours des xe et xie s., d’où elles gagnent celles de la Normandie, de l’Île-de-France et de la Suisse au début du xiie s.

En leur sein s’élaborent tout naturellement des associations de quartiers, de métiers, d’intérêts qui se coalisent au cri même de « commune, commune », dont le fondement essentiel est le serment, qui unit chacun de ses membres en une conjuration et qui les porte à exiger des détenteurs de l’autorité, fût-ce par la violence, l’octroi de libertés et de franchises dont la détention apparaît donc bien comme la conséquence et non comme la condition de la constitution d’une commune, encore que le bénéfice de tels privilèges puisse être accordé à des villes par leur seigneur laïc ou ecclésiastique sans conjuratio préalable. Par là on distingue mieux ce qui différencie fondamentalement les simples villes de franchises de celles qui sont qualifiées de communes, ces dernières pouvant par ailleurs disposer d’une autonomie moins large que celle dont bénéficient les agglomérations susdites.

Les chartes de commune

La charte de commune est un acte émanant de l’autorité publique (roi, prince territorial, etc.) qui détient la seigneurie d’une ville et par lequel cette autorité reconnaît aux habitants de cette dernière, préalablement constitués en commune, un certain nombre de privilèges qui sont garants de son émancipation. Bien que de types divers, il existe de véritables familles de « chartes communales », dont le texte, inspiré d’un même document de base, présente bien entendu des variantes dues à leur adaptation aux conditions locales et au rapport de forces existant au moment de leur rédaction entre les seigneurs qui les concèdent et les bourgeois qui en bénéficient.

C’est ainsi que la charte de Beauvais, la charte de Mantes et les Établissements de Rouen ont eu un rayonnement considérable, ces derniers surtout. Concédés sinon même octroyés à cette ville portuaire par Henri II Plantagenêt entre 1160 et 1183, les Établissements de Rouen ont en effet servi de modèle aux auteurs de chartes de commune accordées depuis lors aux villes de la France du Sud-Ouest : Saint-Émilion en 1199, Bordeaux et La Réole vers 1206-1208, Bayonne en 1215, Dax entre 1219 et 1243, l’île d’Oléron à une date indéterminée, Bourg en 1261, Libourne en 1276, Blaye à la fin du xiiie s., etc.