Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Commune (la) (suite)

La « semaine sanglante »

Le 21 mai est un dimanche. Après le déjeuner, et narguant les obus versaillais qui labourent Passy et les beaux quartiers, la foule joyeuse se porte au jardin des Tuileries, où 1 300 musiciens donnent un concert au profit des veuves et des orphelins de la garde nationale. De son côté, le Comité de salut public siège à l’Hôtel de Ville pour juger Cluseret. Soudain Alfred Billioray, qui préside, demande le silence ; il tient une dépêche de Dombrowski qui annonce l’entrée des versaillais par la porte de Saint-Cloud, laissée sans défenseurs.

En effet, avertis de cette carence par un mouchard, les premiers soldats de Mac-Mahon, sous les ordres du général Félix Douay, sont entrés sans coup férir dans la capitale. Et, tandis que la Commune tergiverse et ne songe même pas à siéger en permanence, le général Ernest Courtot de Cissey, sans se heurter à un « qui vive ? », fait ouvrir par ses sapeurs les portes de Sèvres et de Versailles. À 3 heures du matin, les versaillais inondent le XVe et le XVIe arrondissement ; la Muette, Passy, le Trocadéro, Grenelle, une partie de Vaugirard sont rapidement entre leurs mains. Paris dort. La « semaine sanglante » commence.

Le miracle, c’est que, dans de telles conditions, la Commune ait encore vécu une semaine ! Car les proclamations vibrantes mais démagogiques de Delescluze et de ses amis sont d’un autre âge ; « Assez de militarisme ! disent-elles. Plus d’états-majors galonnés et dorés sur toutes les coutures ! Place au peuple, aux combattants aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné [...]. Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes. Mais quand il a un fusil à la main, du pavé sous les pieds, il ne craint pas tous les stratégistes de l’école monarchiste. » La seule arme de Paris sera la barricade.

Dès les premières heures du lundi 22 mai, les versaillais commencent leur marche en avant, d’ouest en est. Dans les beaux quartiers aux larges avenues et où la population est peu favorable à la Commune, leur avance est rapide : les canons de Montmartre — par l’effet de l’incurie des communards — sont restés silencieux. En une seule journée, les XVe et XVIe arrondissements ainsi que la majeure partie du VIIe, du XIIIe et du XVIIe tombent aux mains des troupes régulières.

Au soir du mardi 23, la moitié de Paris a été arrachée à la Commune, qui a perdu Montmartre, sa forteresse. Mais au-delà de la grande barricade de la rue de Rivoli, qui protège l’Hôtel de Ville, le Paris populaire résiste pied à pied. L’exaspération des versaillais en est redoublée, mettant en marche une justice expéditive qui se moque bien des « lois » derrière lesquelles se retranche Thiers, rentré à Paris. Dès le mardi, longtemps avant les incendies, les lignards fusillent ou massacrent sur place tous ceux qui ont ou qui semblent avoir porté les armes : le square des Batignolles, le parc Monceau, la butte Montmartre sont les premiers abattoirs de la semaine sanglante. Le général Félix Antoine Appert, commandant la subdivision de Versailles et chef de la justice militaire, avouera que 17 000 fédérés au minimum furent exécutés sur place. Le capitaine Garcin, l’un des officiers chargés d’interroger les premiers prisonniers, dira : « Tous ceux qui étaient arrêtés les armes à la main étaient fusillés dès le premier moment [...]. Il n’y avait pas de grâce. »

Le mercredi 24 mai est terrible, car la bataille vient de coûter la vie à Dombrowski, le meilleur général des fédérés ; Raoul Rigault, reconnu, est abattu ; l’Hôtel de Ville est perdu, ces qui oblige la Commune et le Comité de salut public à se réfugier à la mairie du XIe. Les fédérés ne disposent plus que de quatre arrondissements intacts : les XIe, XIIe, XIXe, XXe. Mais ce sont les plus difficiles à réduire.

Belleville, Ménilmontant, le Père-Lachaise, leurs lacis de petites rues et leurs jardins sont de rudes bastions. En quittant le centre de Paris, les communards ont incendié les Tuileries, le ministère des Finances, la Légion d’honneur, le Conseil d’État, la Cour des comptes puis l’Hôtel de Ville. Le flot rouge de la Seine reflète les monuments et double l’incendie formidable. Pour l’expliquer, point n’est besoin de recourir à la légende tenace — et combien dangereuse pour les femmes combattantes — des « pétroleuses » de la Commune : c’est dans le désespoir attaché à une cause perdue qu’il faut chercher la raison du sinistre...

Désespoir, fureur : la foule, exaspérée par les exécutions sommaires, réclame des têtes. Ferré, qui dirige la Sûreté générale, accepte de donner l’ordre d’exécuter les plus importants otages, qu’on a transférés de Mazas à la Roquette. L’archevêque Darboy, le président Bonjean, l’abbé Deguerry et trois jésuites sont fusillés à la nuit tombante, à l’heure où les versaillais serrent de près la barricade de la porte Saint-Martin.

Le lendemain 25 mai, toute la rive gauche est perdue pour les fédérés ; et déjà le Château-d’Eau et le boulevard Voltaire sont sous le feu des canons de Versailles. Aux yeux de Delescluze, délégué à la Guerre, c’est l’hallali. Aussi décide-t-il de mourir. S’avançant seul sur le boulevard Voltaire, il gravit les pavés de la barricade et tombe sous les balles. Le même jour, les dominicains d’Arcueil sont exécutés.

Le fief de la Commune se réduit comme une peau de chagrin. Le 26, les fédérés n’ont plus pour eux que Belleville et Ménilmontant, quartiers ouvriers où l’on se bat avec fureur. Mais les barricades ne peuvent rien contre les canons de Montmartre, dont les obus écrasent les maisons populeuses. Et puis, le défaut de plan de bataille pèse terriblement sur le sort des derniers combattants — un millier d’hommes —, qui résistent aux 25 000 soldats de Ladmirault. Si ceux-ci n’avancent que péniblement dans le lacis des rues de Ménilmontant, ils disposent de la route stratégique qui domine le Père-Lachaise, les Buttes-Chaumont et les boulevards extérieurs, et que les fédérés ont négligée. De là, on peut apercevoir les Prussiens sous les armes, car, en vertu d’un accord avec Versailles, ils occupent Vincennes et forment, de Montreuil à la Marne, un cordon infranchissable. Les derniers communards auraient pu fuir par là — mais Bismarck double, ici, M. Thiers.