Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Commune (la) (suite)

Paris a faim, Paris est bientôt bombardé ; les « trente sous » (c’est ainsi qu’on appelle les gardes nationaux) brûlent de sortir pour dégager la capitale. Le 31 octobre 1870, la vague populaire a bien failli emporter le gouvernement de la Défense nationale ; au lendemain du « simulacre tragique » de Buzenval, la garde nationale part de nouveau à l’assaut de l’Hôtel de Ville ; elle est stoppée par les soldats du général Joseph Vinoy (22 janv. 1871).

Quelques jours plus tard, c’est l’armistice (28 janv.), ce sont les forts parisiens livrés à l’ennemi — en attendant l’humiliation de l’entrée de Guillaume Ier et de Bismarck —, les soldats désarmés. Paris est assommé : tant de souffrances pour en arriver là ! La réaction et la colère se manifestent d’abord par le fait que la plupart des représentants envoyés par Paris à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 sont républicains. Fait capital, qui creuse le fossé entre un Paris révolutionnaire et une France rurale et conservatrice, majoritaire à l’Assemblée.

Or, cette Assemblée, dont le vrai maître est Thiers — incarnation de la bourgeoisie française —, a manifestement peur de « la ville rouge », qui dispose d’ailleurs d’une force intacte : sa garde nationale, que Bismarck et Jules Favre n’ont pas osé désarmer.

Pour abattre « la morgue de la populace parisienne », les députés de Bordeaux prennent une série de mesures qui ne font qu’exaspérer les Parisiens. Non seulement on « décapitalise » Paris en décidant l’installation de l’Assemblée nationale à Versailles, mais on interdit les journaux d’extrême gauche, on fait condamner à mort par contumace Blanqui et Flourens, on supprime pour les non-indigents (15 févr.) les « trente sous » que reçoivent quotidiennement les gardes nationaux, on décide (10 mars) d’abolir le moratoire qui, depuis l’investissement, suspend le paiement des loyers parisiens et aussi le moratoire des effets de commerce. Et voici qu’à la tête de la garde nationale succède à Vinoy un aristocrate doublé d’un gendarme, Louis Jean-Baptiste d’Aurelle de Paladines. Quand, le 3 mars, Aurelle convoque les chefs de bataillon, une trentaine sur 260 obtempèrent.

Car la plupart des bataillons, constitués en fédération, obéissent en fait au Comité central de la garde nationale — définitivement mis en place le 15 février 1871 —, que soutiennent les sections parisiennes de l’Internationale (Varlin) et la fédération des Chambres syndicales.


Le 18 mars 1871

Le 15 mars, Thiers, chef du pouvoir exécutif, est à Paris. Il veut mater la ville ; pour cela, il lui faut la désarmer. Car, avant l’entrée des Prussiens dans la capitale (1er-3 mars), les gardes nationaux ont ramené du Ranelagh, des Champs-Élysées, du parc de la place Wagram 227 canons et mitrailleuses, achetés par souscription, qu’ils ont regroupés particulièrement à Montmartre et à Belleville. Thiers décide de faire enlever les canons par les troupes régulières.

L’opération commence le 18 mars, à trois heures du matin ; mais, faute d’attelages, elle est loin d’être terminée à 8 heures, quand les quartiers populaires — où sont entreposés les canons — s’éveillent. La foule entoure les soldats, les paralysant, le tocsin sonne, les gardes nationaux sortent en armes. Alors, le 88e de ligne, à Montmartre, fraternise avec les Parisiens, désarme ses officiers et enferme le général C. M. Lecomte au Château-Rouge.

Vinoy se replie sur le Champ-de-Mars, abandonnant les canons à la garde nationale, qui n’obéit plus à Aurelle de Paladines. Thiers, reprenant une vieille idée girondine, parle tout de suite d’évacuer Paris, d’aller refaire une armée à Versailles pour, de là, mieux écraser la capitale isolée. En quittant Paris, il donne l’ordre d’évacuer tous les forts du sud, y compris le mont Valérien. Cependant que, rue des Rosiers, le général Lecomte et aussi le général Clément Thomas — le « fusilleur de juin 48 », qui passait par là — sont exécutés.

Dans l’après-midi, le Comité central de la garde nationale, d’abord paralysé par la soudaineté de l’événement, fait procéder à l’occupation des points stratégiques et des bâtiments officiels. À 10 heures du soir, le départ du maire Jules Ferry libère l’Hôtel de Ville, qui va devenir le cœur de la Commune.


Du 18 mars à la Commune

Au matin du 19 mars 1871, le Comité central est en séance à l’Hôtel de Ville sous la présidence d’un obscur commissionnaire en marchandises, Edouard Moreau, qui est chargé de rédiger un appel aux électeurs parisiens. Car le souci premier du Comité central est d’assurer à Paris sa municipalité, sa commune ; il fixe les élections au 22 mars ; en même temps, il invite Paris et la France à « jeter ensemble les bases d’une république acclamée avec toutes ses conséquences, le seul gouvernement qui fermera pour toujours l’ère des invasions et des guerres civiles ».

Pas un instant, en effet, on ne songe à la guerre civile ; on espère que, commune après commune, toute la France, à l’image de Paris, se transformera en une république fraternelle et égalitaire, étant bien entendu que l’Assemblée nationale, ayant trahi la cause du peuple, n’a plus aucun mandat.

En attendant les élections, le Comité central de la garde nationale, appuyé par les blanquistes et l’Internationale, par les sociétés ouvrières, les clubs et les comités d’arrondissement, fait œuvre de gouvernement. Plusieurs de ses délégués s’installent dans les ministères et les services publics. D’autre part, le Comité central décrète la levée de l’état de siège, l’abolition des conseils de guerre ; il suspend tous les délits politiques, la vente des objets engagés au mont-de-piété, proroge d’un mois les échéances et interdit aux propriétaires de congédier leurs locataires jusqu’à nouvel ordre.

La grande faiblesse du Comité central est doctrinale. Sans doute, ses premières proclamations révèlent-elles une profonde haine à l’égard de l’État centralisateur. Sans doute, les gens de l’Internationale, appuyés sur la Chambre fédérale des sociétés ouvrières, élaborent-ils un programme qui dénonce, dans l’ancien régime, « l’insolidarité des intérêts » d’où naissent « la ruine générale et la guerre sociale » et préconise notamment « l’organisation du crédit, de l’échange, de l’association, afin d’assurer au travailleur la valeur intégrale de son travail ». Mais, en fait, on s’en remet à la future Commune du soin de tracer la voie qui doit conduire au but désigné.