Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colportage (littérature de)

Littérature caractérisée par son mode de diffusion. Elle est composée en effet de livres, le plus souvent de petit format, surtout à partir du xviiie s., vendus par l’intermédiaire des merciers ambulants, plus ou moins vagabonds, que l’on nommait mercelots, mais aussi bisouarts ainsi que porte-panniers ou porte-balles, selon la nature de leur ballot, le terme de colporteur paraissant plus particulièrement réservé à ceux qui portaient leur étalage sur la poitrine, suspendu au col, et qui, dans Paris notamment, étaient spécialisés dans la vente des livres.



Introduction

La vente des livres par le colportage est attestée dès le xvie s. En dépit des obstacles créés par la police et une législation soucieuse d’empêcher la diffusion d’écrits non contrôlés, et aussi malgré l’existence des privilèges liés à la corporation des libraires, le colportage ne fait que prospérer jusqu’au xviiie s., au point que M. de Malesherbes peut écrire en 1759 : « Tout est rempli dans nos campagnes de marchands vagabonds qui étalent des livres dans les foires, les marchés, les rues des petites villes. Ils vendent sur les grands chemins ; ils arrivent dans les châteaux et y étalent leur marchandise ; en un mot leur commerce est si public qu’on a peine à croire qu’il ne soit pas autorisé. »

La Révolution rend le colportage libre, mais la Restauration commence à mettre au point un système de contrôle plus efficace que sous l’Ancien Régime, qui cherchait surtout à contrôler les colporteurs eux-mêmes. Les obstacles vont croissant jusqu’au second Empire, qui contraint les colporteurs à l’estampillage des livres au siège de la préfecture de chaque département pour qu’ils puissent attester, à toute réquisition de la gendarmerie, que ces livres sont bien sur la liste des ouvrages autorisés. Malgré ces entraves, qui visent surtout le contenu des livres, on estime officiellement le nombre des livres diffusés ainsi chaque année à 9 millions d’exemplaires.

En fait, ce n’est pas tant la législation répressive qui va tuer progressivement le colportage que l’influence croissante de la presse. Pourtant, encore au xixe s., les colporteurs se font fréquemment « canardiers », c’est-à-dire que certains diffusent des « canards », feuilles volantes ou opuscules de deux ou trois feuilles, parfois illustrés de bois grossièrement gravés, qui reprennent des articles de la presse concernant généralement des faits criminels ou des drames passionnels, plus rarement des faits politiques et à condition qu’ils soient aussi importants qu’un changement de dynastie ou une glorieuse bataille. Malgré cette concurrence, la presse à bon marché, avec le roman-feuilleton à la portée de tous, et aussi, parallèlement, les publications par livraisons, probablement enfin l’établissement des petits merciers dans les villages ont achevé de faire disparaître totalement le colportage à la fin du xixe s. En fait, en 1880, il est à peu près mort.


La clientèle populaire

Au xvie s. la clientèle des libraires et des colporteurs est encore mal différenciée. Elle est formée, d’une part, de gens de robe, de titulaires d’offices, de propriétaires terriens et de commerçants enrichis, tous sortis il y a peu de générations du menu peuple de l’artisanat et du commerce, et d’autre part, de petits nobles provinciaux étroitement liés à la nouvelle bourgeoisie terrienne. Il est probable que, dans toutes les classes où l’on sait lire un tant soit peu, on se complaît à la lecture des romans de chevalerie et des facéties graveleuses diffusées par le colportage. Rabelais, qui s’inspire de livres populaires et les inspire, en est un témoignage parmi beaucoup d’autres.

À partir du xviie s., le public des lecteurs se diversifie, et le colportage devient plus exclusivement populaire. Au xviiie s., il pénètre dans les chaumières chez les paysans aisés et moins aisés ayant des rudiments de lecture. En même temps, il s’étend davantage dans le petit peuple des villes jusque parmi les compagnons, ouvriers travaillant pour un artisan, qui expriment parfois leur misère en de naïfs poèmes. Il se fait donc beaucoup plus populaire ; par là, il se rapproche davantage du folklore avec les contes de Perrault, de Mme d’Aulnoy et de Mme de Murat, soudain redécouverts par les éditeurs de colportage.

Au xixe s., parallèlement aux petits opuscules traditionnels répandus sous le nom de Bibliothèque bleue, le bagage du colporteur s’augmente d’oeuvres plus copieuses, les progrès de l’imprimerie permettant de fabriquer de véritables éditions de poche, petit in-16 ou in-18, mais de 200 à 250 pages.

En découpant en plusieurs volumes, s’il le faut en coupant, en réduisant, on arrive alors à débiter des œuvres qui, autrement, ne connaîtraient pas le colportage. Le succès d’une œuvre ne se mesure pas alors au chiffre de tirage, inconnu et incontrôlable d’ailleurs, mais au nombre d’éditeurs qui la publient. Et, comme il a toujours été de tradition chez les éditeurs de livres de colportage, on tire des exemplaires jusqu’à usure des plombs. Par leur prix — aux environs d’un franc —, ces livres ne peuvent cependant atteindre que la petite et surtout la moyenne bourgeoisie, tandis que la Bibliothèque bleue, avec ses petits volumes à quatre sous, demeure l’apanage du petit peuple ouvrier et paysan.

Ainsi, au xixe s., il y a deux littératures de colportage nettement différentes et qui ne s’adressent pas aux mêmes classes de lecteurs. Toutefois, les éditeurs de la Bibliothèque bleue, tout en bénéficiant des nouvelles catégories de lecteurs populaires qui s’offrent à eux, s’efforcent encore, devant une concurrence redoutable, de retenir le noyau de leur ancienne clientèle, qui les fuit. En effet, à partir de 1840 triomphent les publications par livraison et les romans débités en feuilletons, dont la vogue est grande dans un peu toutes les classes de la société. Les éditeurs de livres de colportage s’efforcent de s’inspirer de cette vogue pour survivre difficilement pendant quelques dizaines d’années : c’est ainsi que Paul et Virginie, Estelle et Némorin, Robinson Crusoé tomberont jusqu’à l’imagerie populaire, où ils pourront côtoyer les Mystères de Paris, la Tour de Nesle et Notre-Dame de Paris.