Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colonisation (suite)

Pour être rivaux, Hollandais, Anglais et Français n’en pratiquent pas moins le même système de colonisation : les grandes compagnies, dont la Hollande a fourni le modèle. Tandis qu’à Lisbonne et à Madrid le commerce a été monopolisé par l’État, on crée à Amsterdam, à Londres et à Paris des compagnies à charte qui obtiennent le monopole du commerce avec un véritable droit de souveraineté pour une région déterminée (sous un contrôle plus ou moins étroit), à charge pour elles d’alimenter le pays en produits exotiques, d’assurer les liaisons maritimes et parfois d’évangéliser et de peupler. Ce sont les Indes orientales qui verront les compagnies les plus importantes, mais on en trouvera aussi desservant les Indes occidentales (Amérique) et l’Afrique.

L’époque des grandes compagnies correspond à l’âge d’or du « mercantilisme », doctrine selon laquelle la richesse et la puissance d’un pays dépendent de la quantité de numéraire dont il dispose (v. Colbert [Jean-Baptiste]). D’où la nécessité de réduire les importations et d’augmenter les exportations avec, en matière coloniale, l’instauration d’un monopole absolu, désigné sous le nom d’exclusif ou, improprement, de pacte colonial. On ne reconnaît pas aux colonies des intérêts qui leur soient propres. Pour Choiseul, « les colonies ne sont que des établissements de commerce : des nègres et des vivres pour les nègres, voilà toute l’économie coloniale ». Selon l’Encyclopédie, « les colonies sont faites par la métropole et pour la métropole ».

• Une colonisation continentale : la colonisation russe. En marge des grandes rivalités maritimes se développe une expansion de type exceptionnel, à propos de laquelle on a pu parler de « colonisation par contiguïté ». La prise de Kazan’ (1552) marque le début de la marche des Slaves vers l’est ; trente ans plus tard, la Sibérie occidentale est terre russe, et, vers 1645, sur les bords du Pacifique, des détachements de Cosaques fondent Okhotsk. Moins d’un siècle plus tard, en 1741, les Russes prennent possession de l’Alaska, qu’ils vendront aux États-Unis en 1867.

Ainsi, dès la fin du xviiie s., l’Européen tend à être omniprésent à la surface de la Terre, et la création des empires coloniaux semble la marque de sa toute-puissance. Survient alors une longue crise qui paraît mettre en péril cette emprise des métropoles du monde occidental.


La première grande crise des empires coloniaux

• Ses origines. Les conditions économiques ont changé. Aucune métropole n’a réussi à respecter le « pacte colonial » en fournissant à ses colonies la totalité des produits nécessaires à leur subsistance et en absorbant toute la production coloniale. Il faut donc abandonner le principe de l’exclusif, et cela a lieu d’abord dans les Antilles, où, successivement, la France (1759), l’Angleterre (1762) et l’Espagne (1765) relâchent les liens de leur contrôle : en France, on parlera d’« exclusif mitigé ». De plus, l’Angleterre, transformée par la révolution industrielle, recherche d’autres débouchés que ceux qui sont offerts par ses seules colonies.

Au point de vue social, l’implantation européenne a fait naître des forces nouvelles distinctes de celles des pays dont elles sont issues. Habitués à un régime de quasi-autonomie, les colons anglais d’Amérique tiennent essentiellement au respect de leurs libertés. En Amérique latine, les créoles prétendent disputer aux Espagnols les nombreuses places que ceux-ci se réservent, et A. von Humboldt rapporte que, dès la fin du xviiie s., il est courant d’entendre dire : « Yo no soy español ; soy americano », paroles qui traduisent une prise de conscience nationale.

Le mouvement des idées va dans le même sens. En Angleterre comme en France, le libéralisme s’accompagne d’une critique virulente de la colonisation. À côté du thème du bon sauvage et des horreurs commises par les Européens (abbé Raynal), on invoque les dangers du dépeuplement (Montesquieu, Voltaire), les bienfaits de la liberté commerciale (Adam Smith, Jeremy Bentham), la précarité des conquêtes coloniales (Turgot). Les « anticolonistes » deviennent une force, appuyés par les mouvements humanitaires d’Angleterre, qui combattent la traite et l’esclavage, et par les héritiers de la Révolution française, qui se rappellent la déclaration fameuse de Robespierre : « Périssent les colonies, si vous les conservez à ce prix » (l’esclavage).

• Ses caractères et ses limites. Le caractère le plus apparent de la crise est l’amenuisement des empires coloniaux. Certaines pertes, survenues au cours des guerres au détriment de la France, de l’Espagne ou de la Hollande et au profit de l’Angleterre, ne sont pas significatives dans l’optique de la crise envisagée. Mais deux le sont éminemment.

C’est d’abord l’émancipation des treize colonies anglaises d’Amérique (1774-1783), qui marque la naissance des États-Unis. C’est ensuite le soulèvement des colonies espagnoles (1810-1824), qui aboutit à l’éclatement des anciennes possessions de Madrid en huit républiques (quinze par la suite), tandis que, par des voies différentes, le Brésil s’érige en empire indépendant (1822). En 1823, le président des États-Unis James Monroe (1758-1831) condamne tout nouvel essai de colonisation en Amérique. Politiquement, la face du monde occidental a changé.

L’évolution est moins perceptible dans le domaine économique, où le fait essentiel sera la disparition des grandes compagnies en France et en Hollande, tandis qu’en Angleterre la Compagnie des Indes orientales se maintiendra jusqu’en 1858.

Cependant, cette grande crise ne peut guère être comparée à celle qui emportera la colonisation un siècle et demi plus tard. Outre qu’il ne s’agit pas d’une crise générale, il faut remarquer que les grands voyages en Océanie livrent à l’expansion coloniale de nouveaux espaces (Australie, Nouvelle-Zélande, îles du Pacifique) et que l’Afrique commence à s’entrouvrir (René Caillié à Tombouctou en 1828) : le temps du monde fini n’est pas arrivé. De plus, les populations autochtones n’ont guère été concernées par les problèmes d’émancipation : ce sont des colons qui se sont soulevés contre leur métropole sans condamner le fait colonial dont ils sont les produits et sans penser à modifier leur comportement à l’égard des indigènes lorsqu’il en reste.