Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colonialisme (suite)

Ces dépendances politiques et économiques se prolongent par une dépendance culturelle. Celle-ci n’a pas tout à fait supprimé les revendications de culture nationale qui présidèrent à la formation des nouveaux États, mais elle contribue cependant à les minimiser. Le modèle de référence est, là encore, constitué par celui de la société dominante, dont les produits culturels, les modes de pensée sont acceptés sans esprit critique par les groupes dirigeants dans leur ensemble, à l’exception d’une intelligentsia, très faible numériquement, qui les rejette. Les dirigeants se conforment à ce modèle dans leur mode de vie, leurs loisirs, leur consommation ; l’éducation de leurs enfants se calque sur celle que pratiquent les classes dirigeantes du pays à influence dominante et s’effectue fréquemment dans celui-ci. Pour la majorité de la population, la nouvelle situation de dépendance entraîne, au niveau des individus, la formation d’un véritable complexe néo-colonial, fait de sentiments d’agressivité et de frustration auxquels répondent les sentiments de supériorité et de satisfaction des minorités étrangères, aux conditions d’existence privilégiées, qui ont remplacé les anciens colons.

La nouvelle forme de domination subie par ces sociétés emprunte des justifications à la politique de coopération et d’entraide internationale en faveur des pays sous-développés. Les principes de cette politique masquent bien souvent la réalité du phénomène tel qu’il vient d’être présenté. Cette volonté d’aide se concrétise dans des programmes d’assistance technique multi- ou bilatérale. D’une façon schématique, on peut dire que l’aide propose un modèle de développement économique radicalement étranger aux sociétés d’accueil. Elle élabore des moyens d’action économiquement fort subtils, mais qui demeurent le plus souvent peu audacieux sur le plan social, de crainte d’entrer en contradiction avec les dirigeants des nouveaux États. L’aide est fondée sur des principes d’analyse économique qui ne renouvellent pas la théorie économique, comme il serait nécessaire puisque l’on a affaire à une réalité nouvelle. Elle n’arrive pas ainsi à tenir compte de façon effective des données sociales (structures archaïques de sociétés en crise) et historiques (impact de la colonisation ou d’une façon générale du contact avec les sociétés industrialisées) spécifiques des sociétés « sous-développées ». En effet, le sous-développement n’est pas saisi comme un phénomène relatif à une situation historique précise et prolongée par l’insertion de ces pays dans un système économique qui les écrase, mais comme une phase du développement économique normal de toute société. Les pays sous-développés sont alors assimilés aux pays développés considérés à une étape antérieure de leur évolution. La prolongation sine die de la situation de dépendance est justifiée pour l’instant par la supériorité technique des pays qui aident. Au surplus, on ne tient compte, le plus souvent, que d’un seul indicateur fort sommaire pour mesurer un éventuel développement : celui que constitue le revenu moyen par habitant. En fait, l’amélioration de ce revenu moyen peut être corrélative, sur le plan social, à une stagnation ou à une détérioration du niveau de vie des plus nombreux au bénéfice de celui de quelques-uns. Et lorsque l’amélioration du revenu moyen ne profite qu’à une minorité déjà nantie, l’écart entre celle-ci et la masse de plus en plus démunie ne peut que se creuser. Cette situation accroît les tensions, qui s’expriment en conflits sociaux, souvent larvés, parfois violents, et précipite l’émergence d’un « lumpenproletariat » dans les bidonvilles des grandes cités. L’évolution est bien sûr différente d’une région à l’autre. La stratification sociale, tranchée par exemple en Amérique latine, est beaucoup moins nette en Afrique tropicale, où les sociétés sont en majorité rurales et où les relations sociales sont fondées sur des structures qui sont l’objet d’études pour l’anthropologie* sociale.

C’est en partie le renouvellement du contenu des concepts de développement et de changement social à partir de la critique de leurs acceptions actuelles qui permettra à la fois une meilleure analyse de la situation néo-coloniale et une amélioration réelle du sort des populations néo-colonisées.

J. M. G.

➙ Afrique noire / Amérique latine / Assistance technique / Colonisation / Coopération / Développement / Impérialisme.

 H. Brunschwig, la Colonisation française, du pacte colonial à l’Union française (Calmann-Lévy, 1949). / G. Balandier, Sociologie des Brazzavilles noires (A. Colin, 1955) ; Sociologie actuelle de l’Afrique noire (P. U. F., 1955 ; 2e éd., 1963) ; Afrique ambiguë (Plon, 1957 ; nouv. éd., 1962). / P. Moussa, les Nations prolétaires (P. U. F., 1959). / F. Fanon, les Damnés de la terre (Maspéro, 1961 ; nouv. éd., 1968). / J. Suret-Canale, l’Afrique noire, t. II : l’Ère coloniale (Éd. sociales, 1964). / S. Amin, le Développement du capitalisme en Côte-d’Ivoire (Éd. de Minuit, 1967). / S. Amin et C. Coquery-Vidrovitch, Histoire économique du Congo, 1880-1968 (Anthropos, 1970). / R. Dousset, Colonialisme et contradictions (Mouton, 1971). / R. Girardet, l’Idée coloniale en France de 1871 à 1962 (la Table ronde, 1972).

colonisation

Constitution, à une assez grande distance d’une métropole, d’un établissement permanent, échappant à l’autorité des populations indigènes et demeurant dans la dépendance de la métropole d’origine.


L’histoire de la Méditerranée ancienne fait apparaître l’existence de fondations dues aux Crétois, aux Phéniciens ou aux Grecs et répondant, plus ou moins, à cette définition ; à bien des égards, l’histoire de Rome est celle d’une remarquable expansion coloniale. Il existe aussi une colonisation médiévale, que certains font commencer aux croisades (phénomène particulier en réalité) et qui s’épanouit aux xive et xve s. avec les comptoirs et les possessions de Gênes et de Venise.