Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Colombie britannique (suite)

Tout au contraire, les autres tribus sont faites d’âmes si altières, si conscientes de porter avec elles toute la dignité humaine que leur hauteur dans le comportement, dépassant en majesté tous les exemples indiens d’attitude verticale, est passée en proverbe. Les Indiens de la Colombie britannique ont conçu la moralité comme une notion liée à la stature. L’immobilité est, d’après eux, révélatrice de la puissance, véritable réalité dont les actes ne sont jamais que le sous-produit. Énergie intérieure et extérieure, mais retenue dans sa démonstration, éclatante à force de fixité. Cette puissance contenue dans l’individualité était principalement un savoir-faire dont rien n’obligeait à user si l’on n’en démontrait pas d’un coup toute l’étendue. Être un fameux guerrier, un habile chef de pirogue faisait une réputation suffisante ; et de même que la vaillance se démontre dans la mort du guerrier qui annule toute la part visible de ses pouvoirs, la richesse se démontre par la générosité qui met fin souverainement à toute possibilité d’ostentation.

Le potlatch, spécialité célèbre de la Colombie britannique, est une réception fastueuse au cours de laquelle les invités sont comblés de cadeaux. Le système économique des Indiens était fondé sur l’obligation, sous peine de décri public, de rendre l’invitation et de renchérir de générosité, jusqu’à se dépouiller s’il le fallait. La loi qui oblige à restituer plus qu’on n’a reçu est très comparable au régime de l’usure. Mais les prêts usuraires sont sollicités, tandis que le cadeau est imposé à l’invité, dans une sorte de bataille conduite sans autres armes que les preuves étalées d’une puissance inactive. Le potlatch est un défi qui se règle par le luxe des banquets et l’immensité des dons. Comme s’il était insuffisant de donner, ce qui laisse en circulation des richesses restituables, il fallut enfin détruire ces dernières. Phénomène tardif, semble-t-il : évolution baroque d’une institution très solide et propice au développement d’activités aussi gratuites que les arts plastiques. Durant de nombreux potlatchs relatés du xixe s., les richesses étaient jetées en mer ou brisées en l’honneur de l’ennemi, qui s’en trouvait en même temps humilié comme d’un affront. Ainsi furent détruits de nombreux « cuivres ». Il s’agit de plaques rectangulaires de laiton, d’un mètre de hauteur environ, dont la moitié supérieure figure un visage en gravure profonde.

On doit rattacher à cette morale de dignité superbe toute la fortune de l’art héraldique en Colombie britannique. La généalogie, serait-elle légendaire, marque la destination des descendants et fixe la nature des rapports qu’ils entretiendront avec le monde. Les mâts totémiques sont les illustrations de cette manière de comprendre les rapports de l’individu avec ce qui l’entoure. Sculptés dans des troncs de cèdre à la mort des chefs, ils étaient érigés lors de la cérémonie d’investiture de leur héritier. Figuration symbolique des faits marquants du règne antérieur en une sorte de panégyrique plastique, mais aussi d’une familiarité ancienne des ascendants avec le monde des animaux, révélée par un bestiaire mythologique où l’ours, la baleine, le castor, le saumon, la grenouille, le corbeau et l’oiseau tonnerre tiennent les premières places. Dressés en lignes souvent multiples ou logés dans le fronton des cases et parfois percés alors d’une porte, les totems sont les œuvres les plus impressionnantes de l’art indien du nord-ouest. À la fin du xixe s. et au début de celui-ci, des sculpteurs indiens en firent pour les musées et les touristes des copies réduites, en bois ou en argilite.

Par les motifs qui y sont inscrits, les autres productions artistiques de la Colombie britannique sont très semblables aux totems, et chacune des provinces stylistiques les interprète avec son humeur propre. L’expressionnisme des Kwakiutls se retrouve sur leurs totems, sur leurs masques et dans leur peinture. La même douceur sinistre imprègne les masques et les totems des Haïdas. L’art de la sculpture en ronde bosse sur un tronc d’arbre a servi d’école et détermine pour une bonne part les formes mêmes du dessin, de la gravure et de l’ornementation.

Le passage du dessin réalisé sur la surface cylindrique d’un tronc à un dessin plan s’opère de plusieurs manières. Ou bien le dessinateur obtient un dessin « déroulé », qui donne une impression de distension en largeur de la figure ; ou bien il juxtapose, de part et d’autre de la vue faciale, les deux profils ; ou encore, il installe face à face les profils et trace les yeux comme s’ils étaient seuls vus de face. Ces jeux graphiques ont été portés à la rigueur d’une véritable grammaire par les Tsimshians, qui, parmi les Indiens de Colombie britannique, furent le plus tentés par la désarticulation géométrique des apparences, dont les détails, figurés symboliquement, sont redistribués dans la page. Les couvertures tissées par les femmes tlingit dans le village de Chilkat, sur des patrons d’origine tsimshian, et qui servaient aux chefs soit de cape soit de pagne, obéissent aux règles strictes d’une science héraldique qu’il ne faut pas s’étonner de voir en honneur dans un peuple qu’on a comparé aux Vikings et où l’initiation guerrière revêtait des formes que Georges Dumézil a pu identifier avec celles de l’Irlande celtique.

Les limites territoriales des tribus confirment les résultats d’études linguistiques qui ont permis d’isoler entre l’Alaska et la Californie cinq familles sans parenté, alors qu’une étude stylistique des arts du nord-ouest met en évidence bien plus de traits communs que de traits de particularisme tribal, et qu’elle échoue à les définir par des critères indubitables. En règle générale, chez les Haïdas et des Tsimshians, la peinture est indépendante du modelé de la sculpture (qui est réaliste) ; la physionomie est figée dans une méditation silencieuse ; la peinture de la face franchit par surimpression les arêtes de celle-ci. Chez les Kwakiutls, au contraire, le modelé est violent, profondément creusé et heurté : les aplats de la peinture soulignent strictement les arêtes, contribuent au contraste des plans voulus par le sculpteur et ajoutent à l’expression dramatique des visages. Dans l’extrême nord, les Tlingits font surgir des joues ou du front de leurs masques une faune envahissante qui rappelle l’appartenance des hommes au domaine des esprits et leur parenté avec tout ce qui vit.

V. B.

➙ Indiens.