Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Clovis Ier (suite)

Faisant preuve d’un talent politique et d’une valeur militaire incontestables et assez étonnants pour son jeune âge (quinze à seize ans), Clovis entreprend d’étendre son autorité à l’ensemble de la Gaule. Partagé alors entre les royaumes alamans à l’est, burgondes au sud-est, wisigoth au sud de la Loire, son territoire n’échappe à l’emprise barbare qu’entre Somme et Loire, où « règne » le Romain Syagrius, fils du maître de la milice Aegidius, plus tard qualifié de « roi des Romains » par les chroniqueurs.

Son autorité politique étant dépourvue de toute base légale, Clovis n’éprouve aucun scrupule à l’attaquer avec l’aide de ses parents Chararicus et Ragnacharius. Ayant remporté sur lui la victoire décisive de Soissons en 486 et l’ayant contraint à se réfugier auprès du roi des Wisigoths, Alaric II, Clovis s’assure définitivement la possession de la Gaule du Nord en obtenant de ce dernier souverain que la personne de Syagrius lui soit aussitôt livrée afin de pouvoir le mettre à mort.

Clovis, qui a acquis ainsi un prestige exceptionnel, retourne sans doute peu après ses armes contre Ragnacharius et probablement aussi contre les autres rois saliens afin de s’assurer le contrôle exclusif des territoires conquis, encore que l’historien Ludwig Schmidt, estimant que la chronologie de Grégoire de Tours est conforme à la réalité, situe leur élimination entre 508 et 511.

Disposant de moyens militaires renforcés, Clovis mène de victorieuses campagnes contre les Thuringiens, dont il ne soumet que le rameau cisrhénan, en 491, puis contre les Alamans, dont il affaiblit la résistance en 495 et/ou en 505-6 au cours de rencontres dont aucune ne se situe à Tolbiac.

Parallèlement à ces opérations, qui préparent l’établissement du protectorat franc sur la Germanie sous le règne de ses fils et successeurs, Clovis mobilise l’essentiel de ses forces pour s’assurer le contrôle de la Gaule méridionale aux dépens des Burgondes et des Wisigoths.

Bénéficiant en 500-1 de l’appui du roi burgonde de Genève, Godégisile, il rejette d’abord le roi burgonde de Lyon, Gondebaud, jusque dans Avignon. L’intervention diplomatique d’Alaric II l’oblige alors à lever le siège de la ville contre la promesse du paiement d’un tribut, promesse qui n’empêche pas Gondebaud de surprendre et de tuer dans Vienne Godégisile, qui dispose pourtant de l’appui d’un corps de troupes franc. Contraint de faire sa paix avec le vainqueur vers 500, lors d’une entrevue sur les bords du Cousin au sud d’Auxerre, Clovis ne peut qu’entériner l’unification à ses propres dépens du royaume burgonde.

Au contraire de son aventure dans le sud-est de la Gaule, qui se solde par un échec temporaire, les opérations entreprises par Clovis Ier se terminent par la conquête de l’Aquitaine, pourtant contrôlée par les Wisigoths depuis trois générations.

Dans ce pays riche, catholique et de civilisation originale, qui supporte impatiemment la domination des Wisigoths ariens, la conversion du roi des Francs Saliens au catholicisme a dû jouer un rôle décisif en facilitant le ralliement à sa cause des populations autochtones. Préparée sans doute par le mariage de Clovis (v. 493) avec la princesse Clotilde, nièce du roi burgonde Gondebaud, cette conversion (baptême de Reims) incite bien évidemment les évêques du royaume wisigoth à intriguer avec les Francs, tels l’évêque de Rodez, Quintianus, ou les évêques de Tours, Volusianus et Verus.

Seul roi barbare à avoir embrassé le catholicisme alors que tous les autres souverains germaniques d’Occident sont devenus les adeptes de la forme arienne du christianisme, Clovis bénéficie en outre de l’appui enthousiaste de l’ensemble de l’Église de Gaule, à l’heure même où l’empereur Anastase Ier, inquiet de la puissance croissante des Ostrogoths, encourage le roi des Francs à combattre les Wisigoths, dont l’affaiblissement espéré doit, pense-t-il, entraîner celui de leurs alliés ostrogoths.

Malgré l’entrevue d’Amboise entre Clovis et Alaric II, qui essaie de se concilier les catholiques d’Aquitaine à partir de 506, malgré la tentative de médiation de Théodoric (beau-père du roi wisigoth) que contribue à faire échouer le ralliement des Burgondes à la politique du souverain franc, rien ne peut empêcher ce dernier de franchir la Loire.

Renforcé par les troupes de son cousin Sigebert, roi de Cologne, Clovis bat et tue Alaric II à Vouillé, près de Poitiers, en 507. Il occupe aussitôt Bordeaux et Toulouse, mais, faute de moyens, laisse aux Wisigoths, soutenus par Théodoric, la possession de la Septimanie, et n’entame pas la conquête de la Gascogne.

Au retour de cette expédition, la réception de l’ambassade d’Anastase et la chevauchée de Clovis à travers les rues de Tours consacrent, au moins symboliquement, le fait que le roi des Francs est devenu, en union avec l’Église, le dépositaire de la romanité dans l’Occident gaulois.

Éliminant alors par le meurtre le vieux roi de Cologne, Sigebert le Boiteux, puis son fils Chlodéric, Clovis se fait reconnaître roi par les Ripuaires vers 509 et achève d’imposer son hégémonie aux autres peuples germaniques de la rive gauche du Rhin. En fait, maître de l’essentiel de la Gaule depuis 507, le roi franc n’a pas attendu d’avoir parachevé son œuvre de conquérant pour entreprendre l’organisation de son nouveau royaume.

Transférant sa capitale de Tournai à Paris aussitôt après Vouillé, Clovis a l’habileté de mettre le clergé au service de sa politique de ralliement des Gallo-Romains. Il rend aussitôt la liberté à ceux de ses prisonniers qui sont liés à l’Église et autorise les évêques à racheter les laïques prisonniers ; il réunit le concile général d’Orléans au début de juillet 511. Présidé par l’évêque de Bordeaux, Cyprien, et réunissant 32 des 64 évêques vivant dans les États de Clovis, ce concile renforce l’autorité épiscopale sur les clercs séculiers et réguliers, leur interdit d’aller solliciter, sans autorisation, des bénéfices à la cour royale et enfin autorise les clercs ariens qui se convertiraient au catholicisme à conserver leur place au sein de la hiérarchie ecclésiastique.

Ainsi, Clovis achève son règne par ce geste de suprême habileté qui scelle l’alliance des Mérovingiens et de l’Église et jette les bases originales de l’Occident chrétien tout en fondant la nation franque, promise à un destin exceptionnel.