Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aguesseau (Henri François d’) (suite)

Rappelé après la chute du financier, il fut de nouveau exilé (1722-1727) pour son opposition à l’ascension du personnage déconsidéré qu’était Dubois. En 1727, après la mort du Régent, il retrouva la dignité effective de chancelier, mais les Sceaux ne lui furent rendus qu’en 1737, lors de la disgrâce de Chauvelin : il les garda presque jusqu’à sa mort. Après la disparition de Fleury, il se retrouva l’un des plus importants personnages de l’État, mais, plus législateur que politique, il eut peu d’influence sur la conduite générale des affaires.

Fidèle à sa vocation humaniste, il avait signé, en 1746, le privilège de l’Encyclopédie, mais c’est son œuvre de juriste qui reste son plus grand titre de gloire. Il mit à profit ses loisirs forcés pour écrire ses Réformes législatives. De 1731 à 1747 se succédèrent les Grandes Ordonnances qui ouvrirent la voie aux législateurs futurs : ordonnances sur les donations, sur les testaments, sur les substitutions, etc.

D’Aguesseau préconisait l’unification des procédures, et d’abord dans le ressort du parlement de Paris, qui couvrait plus de la moitié du royaume. Jusqu’alors, la coutume seule apparaissait comme la créatrice du droit privé ; la législation royale était impuissante à la transformer. Selon le chancelier, cette législation souveraine devait se superposer au droit écrit et au droit coutumier sans toutefois les remplacer. Aussi, après lui, ce seront les ordonnances royales qui établiront en quelque matière que ce soit les principes généraux de la jurisprudence.

Le chancelier termina sa carrière dans la considération générale. Il résilia ses fonctions en 1750 et mourut l’année suivante.

P. R.

 Le Chancelier d’Aguesseau (Journées d’études de Limoges, Desvilles, Limoges, 1953). / H. Regnault, les Ordonnances civiles du chancelier d’Aguesseau (P. U. F., 1965).

aide sociale

Ensemble des services publics qui apportent une aide matérielle aux personnes dont les ressources sont considérées comme insuffisantes.



Les principes

Bien que le concile de Tours (1567) ait fait obligation aux paroisses de secourir les pauvres, l’assistance publique aussi bien que privée reste longtemps dominée par la notion d’aide facultative. Il faut attendre la Révolution française pour que soient proclamés « les droits de l’homme pauvre sur la société » et la primauté des secours à domicile sur l’admission dans des établissements hospitaliers. Le Directoire revient à la notion d’aide facultative. Un congrès international, tenu à Paris en 1889, pose de nouveau les principes du « droit à l’assistance » et de « la solidarité qui doit unir les habitants d’une même nation ».

Il convient cependant de noter qu’en France l’aide sociale présente toujours un caractère subsidiaire ; en principe, elle ne peut être sollicitée qu’en l’absence d’une autre aide fournie soit par une créance alimentaire légale ou judiciaire (v. aliments), soit par une obligation contractuelle (rente viagère, assurance, etc.), soit encore par une autre législation sociale telle que la Sécurité sociale. Ainsi, les organismes d’aide sociale peuvent se substituer à l’assisté pour exiger des personnes tenues à l’obligation alimentaire le remboursement des prestations versées.

Les législations françaises d’assistance obligatoire se développent régulièrement à partir de 1893 (assistance médicale gratuite dite A.M.G.) sans que l’apparition des législations de sécurité sociale (1898, 1910, 1928, 1945, etc.) s’accompagne de la moindre tendance à la régression.


Le développement historique de la notion d’assistance

L’aide sociale moderne trouve ses origines d’une part dans la charité, d’autre part dans des mesures de police. Dans l’Antiquité, les lois religieuses prévoient souvent des dispositions en vue de permettre la subsistance alimentaire des étrangers de passage et des nécessiteux. À diverses époques, les autorités publiques organisent même certaines formes d’assistance aux pauvres (Égypte, Athènes) ; à Rome, ce sont d’abord avec Gaius Gracchus des distributions gratuites d’aliments, plus tard des distributions d’argent et de vêtements et même de soins médicaux. Avec le christianisme, la charité devient une obligation morale pour les particuliers et pour les communautés religieuses en même temps qu’un moyen de se préparer soi-même à la vie éternelle.

À partir du xie s., le mouvement hospitalier — qui avait été freiné par les invasions — reprend vigueur. Des « aumôneries » et des « maisons ou hôtels de Dieu » apparaissent au voisinage des cathédrales, des principales églises paroissiales et des monastères pour abriter les pèlerins, les malades et les convalescents. Des ordres religieux spécialisés se constituent. Les nobles puis les bourgeois suivent le mouvement. À partir du xiiie s., des médecins sont de plus en plus souvent attachés à ces établissements. Mais, trop souvent, les hospices n’offrent qu’un toit à leurs pensionnaires, qui doivent mendier leur nourriture.

Les premières mesures de police avaient été prises en vue d’isoler les lépreux, puis pour tenter d’enrayer les épidémies : construction de lazarets pour recevoir sur les côtes de l’Adriatique les voyageurs suspects et les marchandises en provenance de l’Orient ; création, en France notamment, de services de santé en temps de peste, puis de bureaux de santé chargés de mesures préventives, en particulier en matière d’hygiène publique. Mais, avec les guerres du xvie s., la mendicité devient une incontestable plaie sociale ; nécessiteux véritables, soldats licenciés, déserteurs, oisifs et fainéants se côtoient. Les premières mesures de répression étaient apparues dès le début du xive s. en Espagne, puis en Angleterre (où, en 1346, quiconque fait l’aumône à un mendiant valide est passible de prison). Avec le luthéranisme, on assiste à une régression de la pratique de la charité. (« Plus on exhorte les gens à pratiquer les bonnes œuvres... plus ils deviennent indifférents et froids pour tout ce qui est propre à exercer et à manifester la vertu chrétienne. ») D’où, en Allemagne et en Angleterre principalement, une véritable substitution des pouvoirs publics locaux à la compétence ecclésiastique en matière d’assistance. Les nécessiteux sont mis à la charge des paroisses, qui expulsent systématiquement ceux qui n’appartiennent pas à la commune. La répression de la mendicité s’accentue encore. Il est défendu de mendier sans autorisation, les mendiants non autorisés étant internés dans des hospices-prisons (à Paris, quartiers spéciaux de la Salpêtrière et de Bicêtre) et forcés de travailler (workhouses anglaises, autorisation donnée par la reine Élisabeth aux manufacturiers de se saisir des oisifs et de les faire travailler) ; des peines corporelles leur sont également infligées (exposition publique et carcan, fouet, marque au fer, mutilation des oreilles). En France et en Espagne, ils peuvent être envoyés aux galères (mais les magistrats français n’appliquent généralement cette peine qu’à la troisième récidive), incorporés dans l’armée ou déportés aux colonies (les femmes notamment).